Ligne de Front n°91 (Caraktère, 2021)

Bien avant Mers-el-Kébir, Dunkerque provoque une première fracture dans l’alliance franco-britannique. Pour les contemporains mais aussi dans l’historiographie. De l’autre côté de la Manche en Grande-Bretagne, on célèbre l’opération Dynamo comme une victoire. Le fait de parvenir à sortir du guêpier continental permet de construire la suite tant d’un point de vue politique que militaire. Côté français, Dunkerque reste attaché à une cuisante défaite, à une honte mal digérée qui fait d’ailleurs oublier la bravoure des soldats et nombre de faits d’armes. Il n’en reste pas moins que la question mérite d’être posée, les Britanniques abandonnent-ils les Français ? Et si oui, il faut en effet se demander comment pourquoi…

Publicités

Recension

Ce numéro de Ligne de Front met donc « les pieds dans le plat ». Comme à son habitude, Max SCHIAVON présente son propos de façon argumentée, posée et finalement brillante. Un article à mettre sur les même plan que ses contributions sur l’artillerie française (Ligne de Front83), l’infanterie française (Ligne de Front n°79) ou encore l’impréparation française (Revue d’Histoire Européenne n°3).

Une alliance qui ne résiste pas à la première épreuve

Pourtant, tout commence du mieux possible entre les deux alliés. Même mieux qu’en 1914 ! Le déclenchement de Fall Gelb au 10 mai 1940 et les premiers revers opérationnels ébranlent rapidement l’alliance. Faute de réelle intégration (voir l’illustration concrète dans le domaine aérien dans Allies in Air Power), l’attelage repose sur les qualités de leadership de celui qui a la haute main sur les armées alliées. Las, Maurice GAMELIN n’excelle pour le moins pas dans ce domaine. Ses réactions n’inspirent rapidement pas confiance chez ses propres subordonnés mais aussi chez ses alliés. Ces derniers ont davantage de latitude pour s’extraire de ses ordres, ils ne s’en privent pas. C’est effectivement le cas à partir du moment où les Allemands atteignent Amiens puis la Manche. Déjà au moment de l’affaire d’Arras, le ménage tangue fortement.

A partir de ce moment, les intérêts des deux alliés divergent, malgré quelques alignements de façade poussés notamment par Winston CHURCHILL. Mais les militaires britanniques ont de toute façon tranché. Il n’y a plus rien à espérer et il faut tout faire pour sauver leur contingent. Quels que soient les atermoiement de leur gouvernement.

Le récit des rapports entre les états-majors des deux armées est réellement passionnant. Il montre comment ils se dégradent en parallèle de la situation sur le terrain et des errances des décideurs français, tant militaires que politiques.

Contre la volonté du Führer !

Contrairement à une idée bien répandue, surtout par ses subordonnés après-guerre, il n’est pas impossible de faire changer d’avis Adolf HITLER ou de prendre des initiatives dans son dos. Evidemment, la chose est certainement un peu moins aisée qu’avec d’autres chefs et surtout pas dénuée de risques personnels. Mais comme dans n’importe quel système, les questions d’alignement, d’application et de respect des décisions dans les régimes totalitaires sont réelles.

L’étude sur le Sturmgewehr retrace l’une de ces histoires où les services de l’armement parviennent à imposer à leur Führer cette arme, non sans difficulté. Au-delà de l’anecdote, le cheminement technique et industriel est parfaitement décrit. Si sa production est insuffisante pour équiper à temps l’ensemble des troupes de la Wehrmacht, elle est suffisante pour permettre à de nombreux exemplaires d’essaimer dans le monde.

Rodolfo Graziani

Ce numéro comprend également un très intéressant portrait de Rodolfo GRAZIANI. Comme nombre de ses pairs allemands, le général italien est un militaire engagé qui épouse pleinement les causes politiques du régime qu’il sert. Son expérience coloniale lui apporte la gloire et permet de montrer sa fidélité au régime par ses ordres impitoyables pour pacifier la Lybie puis l’Ethiopie. Elle montre également ses premières limites. Son rappel en Afrique du Nord où il doit affronter l’opération Compass finit par démontrer ses insuffisances et même son engagement politique ne peut le prémunir d’une certaine disgrâce.

A la tête des troupes de la RSI, il s’en tire à bon compte, finalement assez peu inquiété après guerre. Là aussi comme de nombreux chefs militaires allemands de premier plan tels Heinz GUDERIAN ou Erich von MANSTEIN. A la différence de ceux-ci, il n’est pas recyclé à bon compte dans le monde d’après-1945.

Au-delà du personnage, l’analyse de ces chefs montre également les forces et les faiblesses de la gestion de carrière de ces hauts responsables dans des régimes où la fidélité idéologique finit par primer davantage sur les capacités. Elle montre aussi comment interfèrent les questions naturelles d’ego et de vanité. Un sujet éternel, quel que soit le pays, le régime et la culture.

A l’ombre des grands classiques…

Deux sujets retiennent également l’attention. Celui sur la 999. leichte Afrika-Division permet de revenir sur une unité de l’Afrika-Korps bien moins connue que l’illustre 21. Panzer-Division malgré l’important rôle qu’elle joue, notamment en Tunisie. La description du transport aérien à travers la Méditerranée est assez édifiante. Son chef, Kurt THOMAS en fait les frais en étant abattu par la chasse alliée dans son Junkers Ju 52.

L’article sur la prise de Rostov-sur-le-Don au début de Fall Blau permet de revenir sur cette bataille clef entre Kharkiv et la double offensive en direction de Stalingrad et du Caucase. Si la prise de la ville symbolise la facilité du début de grande offensive d’été allemande, elle est considérée avec Belgorod comme l’un des deux piliers qui minent la grande offensive d’été.

Un peu à rebours de l’image couramment admise, Nicolas PONTIC insiste plutôt sur l’affaiblissement de l’avance en direction de Stalingrad au profit de celle vers le Caucase qui permet aux Soviétiques de se ressaisir avant que les Allemands ne soient en mesure d’investir la ville. Autre point intéressant, la description de l’électrochoc que provoque la chute de Rostov-sur-le-Don dans l’Armée rouge.

Eternels chasseurs de chars et snipers soviétiques

Quelques mois après Batailles hors-série n°10 paru chez Ysec, Nicolas PONTIC aborde de nouveau le sujet des chasseurs de la Seconde Guerre mondiale chez les Allemands, Soviétiques et Américains. Le sujet n’est donc pas spécialement nouveau, mais la synthèse est réussie. Le plus intéressant est probablement l’attention apportée à plonger les racines du concept dans les lendemains de la Première Guerre mondiale alors que le char n’est pas encore destiné à lutter contre ses congénères. Voilà de quoi rappeler que les batailles de 1939 à 1941 révolutionnent la perception du char chez l’ensemble des belligérants pour devenir celle qui guidera les interprétations historiographiques après-guerre. La France hors-jeu dès juin 1940 ne peut donc pas accoucher de sa propre révolution au contraire des autres belligérants, au premier rang duquel l’Allemagne.

Accompagnant la parution des deux volumes sur l’Armée Rouge, ce numéro publie comme de coutume quelques « bonnes feuilles » du livre paru chez Caraktère. Au menu, le chapitre concernant les tireurs d’élite soviétiques. Un bon complément aux hors-série n°40 et 21 ainsi qu’aux mémoires de Lioudmila PAVLITCHENKO chez Overlord Press.

Sommaire

Actualités

Actus du livre

Luc GUILLOU, Le fusil d’assaut Sturmgewehr 44, malgré le Führer : article de six pages décrivant les origines, les étapes du développement, la conception et l’industrialisation qui permet aux Allemands de mettre en œuvre le MKb 42 (MP 43) qui préfigure le StG 44 (MP 44) – Texte, photos, profils couleurs.

Max SCHIAVON, Le BEF abandonne les Français ? Les rapports franco-britanniques sur le terrain : article de seize pages expliquant le fonctionnement opérationnel de l’alliance franco-britannique durant la Drôle de guerre avec l’envoi du British Expeditionnary Force (BEF) puis la désintégration de la coordination opérationnelle sous le coup des revers militaires en Belgique et en France, le manque de leadership français, au premier rang duquel celui de Maurice GAMELIN qui aboutit à l’impossibilité d’exécuter les instructions de Maxime WEYGAND, de pousser réellement la contre-offensive d’Arras puis au lancement de l’opération Dynamo – Texte, cartes, photos, profils couleurs.

Didier LAUGIER, 999. leichte Afrika-Division, les damnés de l’Afrika-Korps : article de dix pages sur la formation de la 999. leichte Afrika-Division avec du personnel en quête de rédemption ou banni selon les critères nazis, son transfert en Tunisie par pont aérien au-dessus de la Méditerranée et les conditions de détention dans les camps américains – Texte, photos.

Nicolas ANDERBEGANI, Rodolfo Graziani, le « boucher » de l’Afrique : article de huit pages sur la carrière de Rodolfo GRAZIANI en Ethiopie, en Libye, face à l’opération Compass et son rôle au sein de la RSI – Texte, photos, profils couleurs.

Nicolas PONTIC, Les chasseurs de chars, évolutions et spécificités du concept : article de dix pages sur l’évolution du concept de chasseurs de chars chez les Allemands, Américains et Soviétiques au cours de la Seconde Guerre mondiale – Texte, photos, profils couleurs.

Nicolas PONTIC, La bataille de Rostov, une victoire perdue ? : article de dix pages sur la bataille pour Rostov-sur-le-Don en juillet 1942, ses conséquences sur le déroulement de Fall Blau en direction de Stalingrad et du Caucase mais aussi sur l’Armée Rouge – Texte, cartes, photos, profils couleurs.

Nicolas PONTIC, Les tireurs d’élite soviétiques, entre mythe et légendes : extrait de sept pages du livre sur l’Armée Rouge de 1918 à 1945 présentant les tireurs d’élite soviétique et leur évolution après le déclenchement de l’opération Barbarossa – Texte, dessins couleurs, photos.

Profils couleurs

Liens externes

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.