En mai 1940, fallait-il entrer en Belgique ? (Economica, 2000)

L’Histoire semble condamner définitivement la manœuvre Dyle-Breda qui consiste à faire entrer en Belgique l’aile mobile française et le British Expeditionary force le 10 mai 1940 en réaction de la triple invasion allemande des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg. En effet, sa mis en action facilite l’enveloppement qui résulte du franchissement de la Meuse de Sedan à Dinant par le corps de bataille principal allemand qui vient de franchir les Ardennes en trois jours. Le résultat est connu, c’est Dunkerque et l’anéantissement d’une partie importante de l’armée française et britannique tant d’un point quantitatif que qualificatif. Alors pourquoi se poser encore la question du bien fondé de cette manœuvre ?

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Tout l’attrait de ce livre est de sortir des convenances habituelles et de prendre de la hauteur en ne se focalisant pas uniquement sur Sedan et les Ardennes. Avec raison, car le plan allemand Fall Gelb est bien plus complexe qu’il n’y parait a posteriori. En dépit de la surprise de la concentration allemande dans les Ardennes, la charge de GUDERIAN et consorts ne provoque pas elle seule la catastrophe militaire qui se met en place en quelques jours. Certes, la Belgique n’aide pas avec sa posture de neutralité depuis 1936 (voir La déroute française de 1940, la faute aux Belges ?) mais elle n’excuse pas l’échec français.

Autant le dire de suite, la décision française et britannique d’entrer en Belgique se tient tout à fait. Elle est logique, y compris son extension Breda. Quand les Allemands envahissent les Pays-Bas et la Belgique, ils n’ont de cesse de vouloir d’abattre ces pays le plus rapidement possible pour éviter de voir le nombre de leurs adversaires s’accroître. C’est la raison pour laquelle ils mettent en oeuvre une opération aéroportée osée à La Haye et Rotterdam, à plus de cent kilomètres de leurs bases de départ. C’est la raison pour laquelle la Meuse, le canal Juliana et le canal Albert entre Arnhem et Maastricht doivent impérativement être franchis le premier jour de l’offensive en s’emparant des principaux ponts à proximité de la frontière grâce à des actions coup de poing au petit matin.

Mais l’armée française perd finalement sur tous les tableaux faute d’avoir élaboré différentes alternatives et de se contenter d’appliquer le plan initial quand bien même certains paradigmes sont obsolètes dès les premières du 10 mai 1940 :

  • En Hollande, elle ne saisit pas à temps l’importance du pont de Moerdjik et ne se donne pas les moyens de les reprendre par la force,
  • Sur le canal Albert, là aussi, elle reste pétrifiée devant la chute des ponts sur le canal alors que les Allemands perdent une demie-journée à franchir la Meuse à Maastricht faute d’avoir pu s’emparer des ponts intacts dans la nuit (voir L’attaque silencieuse),
  • Dans les Ardennes belges, elle ne réalise pas l’intérêt de former des bouchons plutôt que de se replier devant pas à pas devant l’avance allemande,
  • Au Luxembourg, elle ne comprend pas la menace qu’elle peut représenter pour les flancs de la 10. Panzer-Division qui glisse en direction de Sedan (voir 10-11 mai 1940, une défaite annoncée).

En conséquence, la 9. Panzer-Division rejoint les parachutistes à Moerdjik le 12 mai 1940 au soir. L’armée hollandaise est donc perdue. Contre la 4. Panzer-Division et la 3. Panzer-Division qui viennent de Maastricht, le Corps de Cavalerie livre bataille à Hannut/Gembloux dans un baroud célèbre mais qui cache mal que ce qui aurait dû être la ligne principale de défense est enfoncée en son milieu menaçant de fait le cœur de la Belgique. Avant même d’être enfoncée de Dinant à Sedan, l’armée française échoue à établir la ligne de défense qui aurait dû lui mettre de maintenir ses nouveaux alliés à flot et à protéger son territoire.

La manœuvre est donc un échec dès le 12 mai 1940, avant même le traumatisme de Sedan. Et encore, l’armée française a les moyens de réagir dans le jour qui suit la traversée des unités de GUDERIAN !

La logique de Bruno CHAIX est implacable. Ce n’est pas parce qu’il échoue que le plan est fondamentalement mauvais sur le principe. Sa préparation et son exécution ne sont tout simplement pas au niveau. Très loin du niveau atteint par leur adversaire. Pour guider le lecteur, l’auteur passe les deux tiers de l’ouvrage à poser le contexte en remontant à 1919 et à la neutralité belge. La description des opérations proprement dites couvre le reste du livre et court jusqu’au 4 juin 1940 à la veille du déclenchement de Fall Rot.

En conclusion, avoir un bon plan ne suffit pas, encore faut-il être en mesure de l’exécuter et de s’adapter à son adversaire qui cherche lui aussi à mener à bien ce qu’il a prévu. Aujourd’hui, le vocabulaire utilise « agilité » pour qualifier la qualité principale qui manque en 1940 à l’armée française. Les fautes ne sont pas toujours exactement là où nous pensons qu’elles sont. Une leçon toujours d’actualité dans le monde militaire mais aussi civil.

Résumé :

Bruno CHAIX, En mai 1940, fallait-il entrer en Belgique ? Décisions stratégiques et plans opérationnels de la campagne de France (Economica, 2000) : livre de plus de trois cent pages décrivant l’évolution des conceptions stratégiques françaises de 1919 à 1940 pour se défendre face à l’Allemagne et en cas d’agression par la Belgique, élaboration de la manœuvre Dyle-Breda, exécution en réaction au déclenchement de Fall Gelb quand les Allemands lancent les hostilités à l’Ouest le 10 mai 1940 en Hollande, Belgique et Luxembourg, les conséquences de la chute du canal Albert, Hannut/Gembloux, les combats dans les Ardennes, le franchissement de la Meuse à Dinant, Monthermé et Sedan, les réactions à la percée allemande – Cartes.

Sommaire :

  • Préface
  • Avant-propos
  • Stratégie française et plans de 1920 à 1939, le problème de l’entrée en Belgique
    • Les années vingt de la ligne du Rhin à la Ligne Maginot
    • Les années d’illusion 1930-1936
    • Ambiguïtés de la politique de neutralité belge et des plans alliés 1936-1939
    • L’intervention en Belgique, problématique et acteurs à la veille du second conflit mondiale
  • Elaboration et évolution des plans alliés pendant la drôle de guerre
    • Le plan Escaut, septembre-octobre 1939
    • Le plan Dyle, novembre-décembre 1939
    • Les aménagements du plan Dyle, décembre 1939-mai 1940
    • Les dés sont jetés, le plan allemand et les forces en présence
  • L’échec du plan allié
    • Le déclenchement du plan Dyle-Breda
    • Surprises sur la Meuse
  • Les plans de la dernière chance
  • Fallait-il entrer en Belgique ? Deux stratégies de valeur inégale
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Liens externes :

1 réflexion sur « En mai 1940, fallait-il entrer en Belgique ? (Economica, 2000) »

  1. Si la volonté allemande était vraiment de percer à coup sûr par l’Ardenne, il faut expliquer pourquoi parmi les chars allemands engagés là on trouve des chars T-38 récupérés en Tchécoslovaquie, alors que les deux meilleures Divisions Panzer (3 et 4), ayant l’expérience des combats en Pologne, et équipées des meilleurs chars, sont engagées sur Hannut et Gembloux? N’utilise-t-on pas en tactique militaire ses moyens les plus puissants là où on veut percer? La percée de Sedan fut semble-t-il une grande surprise pour les stratèges allemands qui émettront rapidement par exemple un HaltBefhel et sommeront Guderian de venir s’expliquer devant OKW après son franchissement de la Meuse! Le Plan Jaune et son succès prévu ressemblent très fort à une récupération allemande à postériori.

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