La Wehrmacht, la fin d’un mythe (Perrin, 2023)

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Un livre en forme de compilation avec des contributions de différents auteurs sous la houlette de Jean LOPEZ, dont certaines issues d’articles déjà parus dans Science & Vie Guerres & Histoire. Dans l’après-1945, pour de nombreuses raisons dont une partie tient à préserver l’allié allemand face au bloc soviétique, deux mythes entourent l’historiographie qui se construit sur la Wehrmacht. Le premier concerne celui d’une armée étrangères aux crimes nazis, légende désormais largement battue en brèche. Le second tend à justifier la défaite de la Wehrmacht par une excellence qui plie uniquement sous le poids du nombre adverse. Le livre s’attache ici à démontrer que ce dernier ne tient pas plus que le premier. Mais sans dénier cependant quelques qualités importantes et uniques qui permettent d’évidentes victoires puis une certaine résilience dans le reflux…

Comme toutes les idoles, la Wehrmacht idéalisée est condamnée à être brûlée.

Nicolas AUBIN, La Wehrmacht, la fin d’un mythe [Perrin, 2023], page 58.
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Présentation

Une belle galerie d’auteurs

En raison de l’origine de plusieurs textes initialement publiés dans Science & Vie Guerres & Histoire, les lecteurs retrouvent globalement les auteurs qui possèdent leurs habitudes dans ce magazine :

  • Nicolas AUBIN
  • Benoist BIHAN
  • Jean-Claude DELHEZ
  • Pierre GRUMBERG
  • Pierre JARDIN
  • Jean LOPEZ
  • Yacha MacLASHA
  • Hugues WENKIN
  • Thierry WIDEMANN

Des traditions bien ancrées avec leurs forces et faiblesses

La génération spontanée n’existe pas dans la culture, militaire ou autre. Ainsi, les caractéristiques des armées allemandes se forgent progressivement et suivent un cheminement qui, avec le recul, parait suivre une évidente logique.

Cet ouvrage a le mérite d’ancrer la Wehrmacht dans son passé prussien et impérial, qui a légué, d’une part une culture militaire originale, d’autre part, une faiblesse de la pensée opérationnelle et, plus encore, stratégique.

Jean LOPEZ, La Wehrmacht, la fin d’un mythe [Perrin, 2023], page 8.

Comme toute culture, elle possède ses forces et ses faiblesses. Les premières sont généralement bien appréhendées (voir ainsi le descriptif qu’en fait The Last German Victory) et concernent essentiellement la tactique, la réactivité, l’initiative, le commandement de l’avant. Ses impasses handicapent particulièrement sa capacité à appréhender la guerre sous un angle qui n’est pas uniquement celui de la bataille décisive. Outre ses carences logistiques et politiques, s’ajoute également un certain déficit de vision industrielle et technologique. Jean LOPEZ pointe également quelques différences d’approche entre les deux guerres mondiales. Dans la Première, il considère que le militaire soumet le politique tandis que dans la Seconde, c’est le politique et son idéologie qui cadenassent le militaire. Un peu plus loin, il enfonce le clou en qualifiant la pensée militaire allemande de « brillant fossile, dépassé dès le début du XXème siècle ». Bref, ça décape et c’est vivifiant !

La géographie joue évidemment un rôle important dans la perception de son propre sort et des contraintes qu’il faut imaginer vaincre pour subsister. De sa position continentale centrale, donc encerclée par autant d’ennemis potentiels que de voisins, la culture prussienne puis allemande voit dans une guerre courte, donc dans la recherche de la bataille décisive, la seule solution pour s’affranchir de cette situation.

Effectivement, la pensée militaire allemande paraît ainsi figée, obnubilée par la victoire antique de Cannes. Comme le souligne Thierry WIDEMANN, les séries de batailles menées par la Panzerwaffe aboutissant à des poches cherchent toujours l’anéantissement de l’adversaire, sans totalement y aboutir… à Dunkerque et en URSS durant l’opération Barbarossa.

N’en déplaise à ses admirateurs, l’armée allemande a perdu les deux plus grandes guerres de l’histoire. Les limites de l’art et de l’outil militaire germaniques s’y révèlent alors d’autant plus fatales qu’elles s’aggravent mutuellement, sans être compensées par une intelligence stratégique à la hauteur de l’épreuve.

Benoist BIHAN, La Wehrmacht, la fin d’un mythe [Perrin, 2023], page 42.

Les nouvelles exigences des guerres totales

Si elle excelle dans l’accomplissement tactique, que ce soit dans l’offensive ou la défensive, la culture militaire allemande échoue à saisir l’ampleur des transformations et des exigences que génèrent les guerres totales. L’anéantissement de la force adverse en rase campagne à l’aide d’une bataille décisive n’aboutit plus automatiquement à la reddition de l’adversaire.

Si l’historiographie a souvent présenté le char comme le facteur décisif, ce n’est pas tant l’engin que les divisions blindées qui font la différence. D’ailleurs, son emploi oscille en permanence entre soutien de l’infanterie, combat antichar et exploitation dans la profondeur grâce d’ailleurs à la mécanisation des autres composantes qui l’accompagne. A plus d’une reprise, les moyens classiques de combat permettent de l’emporter (infanterie et artillerie).

Des facteurs décisifs mal appréhendés et mal maîtrisés : R&D, industrialisation, logistique

Si les lecteurs s’ébahissent devant les prouesses techniques des matériels issus des arsenaux du Troisième Reich, bien alimentés il faut le dire par des nuées d’auteurs complaisants cherchant à vendre plutôt qu’à instruire, ils manquent souvent de capter des détails plus subtiles, sauf à avoir une culture industrielle ou de gestion grands projets. Quelques pages (toujours trop rares) s’intéressent à ces sujets, approche primordiale pour relativiser le mythe de la suprématie technologique et technique allemande (voir aussi Ligne de Front n°100).

Les opérations ou la théorie confrontée à la réalité

Après une cinquantaine de pages consacrée à la culture militaire allemande et à la construction de son image élitiste, deux cent cinquante s’intéressent plus particulièrement aux principales opérations militaires du conflit.

Le ton reste toujours aussi corrosif, parfois provocateur, mais a le mérite de dépoussiérer l’historiographie habituelle. Dans plusieurs succès, ce n’est pas tellement la supériorité allemande qui subjugue mais surtout les défaillances de l’adversaire.

Cette partie réservée aux opérations reste cependant très déséquilibrée avec une attention particulièrement portée sur les combats de mai et juin 1940. L’année 1943 se trouve réduite à la portion congrue et les combats en Biélorussie et Ukraine à la suite de Koursk passent à la trappe. L’Afrique du Nord et la gestion des territoires occupés ne sont pas ou très indirectement abordés. Deux entretiens avec des vétérans, dont un allié, permettent d’aborder la bataille des Ardennes de 1944/1945 ainsi que les dernières semaines de la guerre face à l’Armée rouge. Il n’en reste pas moins quelques chapitres plus synthétiques et brillamment menés qui interpellent (Deux opérations géantes mais différentes, Deux blessures fatales pour le Reich ?, La Wehrmacht s’est-elle battue jusqu’au bout ?).

Conclusion

Ecrit dans le style alerte qui convient à un magazine avec des chapitre relativement brefs, ce livre se dévore d’une traite ou se picore au gré des envies et des centres d’intérêt. Pour les lecteurs qui possèdent déjà plusieurs numéros de Science & Vie Guerres & Histoire, ils peuvent trouver ici une belle incitation à relire plusieurs textes. Ils y trouvent surtout une mise en perspective chronologique des petits fragments découverts au fil des numéros, réagencés dans un ensemble au rendu final cohérent, même si certains empilements peuvent paraître quelque peu redondant comme les pages sur Dunkerque. Identifier les inédits et les articles déjà parus auraient pu être également utiles, ne serait-ce que par transparence vis-à-vis des lecteurs.

Sur le fond, cette compilation met en exergue les carences de la Wehrmacht, loin d’être la quintessence de l’outil militaire absolu… qui ne gagne d’ailleurs aucune des guerres mondiales. En creux, elle souligne également les carences des armées vaincues, parfois particulièrement sèchement, mais aussi la qualité des puissants outils que forgent au même moment les Etats-Unis et l’URSS.

Enfin, l’introduction de Jean LOPEZ prépare le clou final à la déconstruction du mythe créé après 1945 et qui alimente le biais germanique auquel se sont enfermées des décennies d’historiographie sur la Seconde Guerre mondiale en Europe. Les quelques pages écrites par Nicolas AUBIN au sujet de la construction de la légende par les vaincus eux-mêmes et ses filiations dans la littérature sont à lire avec attention pour comprendre comment s’opère ce processus de distorsion. La lecture de ce chapitre doit être également l’occasion de relire celui consacré par Benoît RONDEAU dans son livre Être soldat de Hitler paru en 2019, également chez Perrin, qui détaille beaucoup le processus de remis en cause de mythe d’une Wehrmacht « propre ».

La lecture de Conduire la guerre, paru simultanément par le duo Benoist BIHAN / Jean LOPEZ également chez Perrin, apporte également de nombreux éclairages complémentaires.

L’idée d’une supériorité tactique et opérationnelle maintenue en dépit de tout apparaît pour ce qu’elle est : une légende inventée après guerre par les généraux survivants pour sauver leur honneur professionnel et vendre leur savoir-faire dans la guerre froide. Au prix d’une hécatombe de leurs hommes.

Jean LOPEZ, La Wehrmacht, la fin d’un mythe [Perrin, 2023], page 281.

Voir aussi…

Sommaire

  • Présentation
  • Première partie : la supériorité militaire allemande, étude d’un mythe
    • 1745-1945 : deux siècles de fureur et de mythes
    • Cannes : la pensée allemande prise à son propre piège
    • Ce que l’art militaire doit à l’Allemagne
    • Les officiers, une caste en dehors de l’Etat
    • Comment perdre les guerres mondiales
    • Quand les vaincus écrivent l’histoire
  • Seconde partie : les opérations
    • 1939, la Wehrmacht en rodage
    • 1940, la plus folle des victoires
    • 1941, en empire à l’est
    • 1942, la fin du commencement
    • 1943, la Wehrmacht perd l’initiative
    • 1944, la Wehrmacht écrasée
    • 1945, l’écrasement

Thèmes abordés

Caractéristiques

  • ISBN : 978226210297
  • Nombre de pages : 320
  • Langue : Français
  • Couverture : souple
  • Reliure : collée
  • Dimensions : 15,5 x 24 cm
  • Prix conseillé France à la date de parution : 22 € TTC

Historique de la page

  • 28/01/2023 : création

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