Opération Market Garden 1944

Historique

Contexte

Un Troisième Reich désormais sur la défensive mais pas encore battu

Sur tous les fronts, le Troisième Reich passe sur la défense à partir du 1943. Les Alliés occidentaux terminent de nettoyer la tête de pont germano-italienne en Tunisie et peuvent se concentrer sur leur débarquement en Sicile puis en Italie pour reprendre pied sur l’Europe continentale après en avoir été chassé en 1940 et en 1941. En URSS, l’échec de l’opération Zitadelle à Koursk anéantit les espoirs allemands de reprendre l’initiative tandis que l’Armée rouge prend un ascendant définitif.

Adolf HITLER choisit d’adopter une attitude plutôt défensive en URSS et se prépare à repousser les Alliés qui menacent de débarquer sur les côtes occidentales du continent, l’Italie semblant un front secondaire assez facilement contrôlable. Repousser le débarquement allié attendu à l’Ouest permettrait de gagner du temps et de concentrer à nouveau toute ses forces en URSS.

Echec de la stratégie défensive allemande

Avec l’opération Overlord, les Alliés débarquent le 6 juin 1944 en France dans la baie de Seine. Tout au long de la bataille de Normandie, les Allemands se montrent incapable de pouvoir monter leur contre-attaque décisive comme initialement prévu. Malgré une défense qui retarde la progression alliée qui n’avance pas comme prévue, la Wehrmacht s’épuise dans un combat d’attrition. Le 25 juillet 1944, les Américains déclenchent l’opération Cobra qui après vingt-quatre heures d’indécision perce le front allemand. Malgré la réaction de la 2. Panzer-Division puis de l’opération Lüttich sur Mortain, les Allemands échouent à rétablir le front permettant à la Third US Army de se répandre en Bretagne et en direction de la Loire. A l’issue de la poche de Falaise/Trun/Chambois, la victoire alliée semble complète d’autant que les Allemands semblent incapables de se rétablir et doivent se replier en direction des frontières de Westwall d’autant qu’ils doivent faire face à l’ouverture d’un nouveau front avec le débarquement en Provence.

Côté soviétique, l’opération Bagration et l’offensive en direction de la Roumanie permettent de ramener les Allemands sur leur base de départ au moment de l’opération Barbarossa puis de pénétrer en Pologne et en Hongrie. Bref, la situation du Troisième Reich semble sans issue mais le régime ne semble pas vouloir s’effondrer ou accepter l’exigence alliée de capitulation sans condition.

Naissance de Market Garden

Avance sur une front large

Dwight EISENHOWER choisit d’avancer sur un front large : en direction des Vosges à partir de la Provence, de la Lorraine à partir de Paris, de la Roer par Mons et les Ardennes belges, des Pays-Bas en remontant les côtes de la Manche. Partout la Wehrmacht semble se replier, mais la défense semble se raidir déjà.

Surtout, à l’exception de quelques encerclements mineurs, les Alliés ne cherchent pas à créer de grandes nasses pour prendre au pièges les unités allemandes qui se replient.

Bernard MONTGOMERY garde en tête l’objectif initial de l’opération Overlord qui consiste à porter un coup décisif au Troisième Reich en s’emparant de cœur industriel, la Ruhr. A plusieurs reprises, il envisage l’utilisation de la principale réserve stratégique alliée, la First Allied Airborne Army. Mais à chaque fois, la rapidité des événements lui en ôte l’opportunité. Dans tous les cas, entre l’expression du besoin et la date cible, il n’y a que quelques jours, voire vingt-quatre heures…

Prémices

Immédiatement après avoir contre-carrer l’opération Linnet II qui prévoit un assaut aéroporté pour aider à franchir la Meuse au profit de la First US Army, Bernard MONTGOMERY envisage un raid par planeurs sur Wesel ou Arnhem type Pegasus Bridge, mais avec des moyens nettement renforcés. C’est rapidement la ville hollandaise sur le Rhin qui retient l’attention et le projet prend le nom de code opération Comet. Cette dernière prévoit d’engager la 1st Airborne Division, la 1st Polish Independant Prachute Brigade et la 52nd (Lowland) Infantry Division. Prévue d’être lancée le 7 septembre 1944, elle est repoussée dans un premier temps en raison des conditions météorologiques puis annulée en raison du raidissement de la résistance allemande en Belgique à l’approche de la Hollande. Parmi les possibilités évoquées, un assaut sur l’île de Walcheren est également étudié.

Le 10 septembre 1944, Bernard MONTGOMERY rencontre Dwight EISENHOWER dans un échange assez tendu. Le Britannique pousse pour une percée rapide en direction de la Ruhr avec les unités qui se trouvent sous son commandement alors que la logistique alliée reposant toujours sur les plages du Débarquement se tend chaque jour un peu plus. Néanmoins, les deux hommes se mettent d’accord pour remplacer l’opération Comet par une nouvelle opération conservant le même objectif final, à savoir franchir le Rhin à Arnhem, dernier grand obstacle naturel avant la Ruhr en passant par cet axe que ne protège pas non plus le Westwall.

Arnhem se trouve à plus de cent kilomètres des premières lignes alliées alors que pas moins de six coupures humides majeures disposées en arc de cercle autour de l’axe de pénétration doivent être franchies :

  1. Canal Wilhelmine à Son au nord d’Eindhoven
  2. Canal Zuid-Willemsvaart et AA à Veghel
  3. Le Dommel à Sint
  4. La Meuse à Grave
  5. Le canal Meuse-Waal et le Waal à Nimègue
  6. Le Rhin à Arnhem

Double enjeu

En raison de la géographie des lieux, la capture intacte des ponts s’avère essentielle pour maintenir le tempo et parcourir au plus les cent sept kilomètres jusqu’à Arnhem. Seul un assaut aéroporté sur chacun des points de franchissement peut permettre de s’en emparer par surprise en capitalisant sur la désorganisation de l’armée allemande qui vient de se replier de plusieurs centaines kilomètres en quelques jours seulement et qui n’a donc pas eu véritablement le temps encore d’organiser sa défense malgré des premières mesures d’urgence.

S’emparer des ponts ne servirait cependant à rien si les parachutistes ne sont pas relevés rapidement par les unités qui progressent au sol. Les précédentes expériences aéroportées menées durant la Seconde Guerre mondiale montrent que l’espérance de vie d’unités aéroportées larguées loin en avant des premières lignes amies est relativement courte comme en témoignent les opérations en Norvège, en Hollande et en Crète menées par les Allemands en 1940 et 1941.

Market forme le volet aéroporté de l’opération tandis que Garden concerne la progression des unités terrestres.

Le plan allié

Les Alliés cumulent les difficultés qui s’avèrent rédhibitoires à l’exécution :

  • Les zones de largage favorables ne se situent pas sur ou à proximité immédiate des objectifs, ce qui nécessite un temps de transit pour les rejoindre offrant autant de possibilités qu’un grain de sable ne s’y glisse
  • Le manque d’avions de transport et la durée du trajet en provenance de Grande-Bretagne limite l’importance des vagues (tout est cependant relatif) et espace les rotations sur plusieurs jours (contrairement au 6 juin 1944)
  • La progression le long d’un unique axe de circulation présente le double inconvénient d’être facilement bloqué et de voir l’artère coupée par des contre-attaques allemandes sur les flanc s’ils ne sont pas suffisamment sécurisés au fur et à mesure de la progression

Les objectifs sont :

L’espoir d’accélérer l’effondrement allemand, de terminer la guerre avant Noël et de progresser plus vite que l’Armée rouge alors stoppée sur la Vistule justifie la prise de risque. Les difficultés que rencontrent les Alliés dans le secteur d’Aix-la-Chapelle (Aachen), dans la forêt de Hürtgen et en Lorraine montrent que le chemin en direction de la Ruhr, quel que soit l’axe retenu favorise la défense. Le Rhin devra de toute façon être franchi à l’aide d’une nouvelle opération aéroportée d’ampleur inégalée en mars 1945 (Varsity).

Ordres de bataille

Chronologie

Conséquences

Conséquences opérationnelles

Market Garden se révèle être un échec, son objectif principal reste hors de portée. La seule réserve stratégique alliée est utilisée en pure perte, il faudra plusieurs mois pour la reconstituer. Les moyens utilisés accentuent les tensions logistiques alliées, sachant que les combats ne s’arrêtent pas après l’abandon de la poche d’Oosterbeek. Les Alliés se retrouvent en effet dans une position très inconfortable qui nécessite de poursuivre les opérations pour sécuriser l’avance chèrement acquise ce qui amène les combats pour Venlo et la région de Peel.

De leur côté, les Allemands peuvent stopper l’offensive alliée sans réellement puiser dans leurs réserves stratégiques. Leur rétablissement repose principalement sur la réaction d’unités de dépôt et de circonstance avec l’appui des restes du II. SS-Panzer-Korps qui commence juste à se remettre de ses combats en Normandie et de retraite à travers la France et la Belgique.

L’opération Market-Garden n’est cependant pas une défaite alliée. Elle permet d’accélérer la libération du sud des Pays-Bas. Si les Allemands infligent de lourdes pertes à la seule véritable réserve stratégique alliée à l’Ouest, ils ne peuvent néanmoins anéantir la 1st Airborne Division, ni même la Guards Armoured Division et la 43rd (Wessex) Infantry Division qui se trouvent temporairement isolés quand le corridor est coupé à hauteur de Veghel les 22 et 23 septembre 1944. La 1st Airborne Division n’est plus opérationnelle pendant plusieurs mois, les 82nd US Airborne Division et 101st US Airborne Division doivent être également rafraîchies. Elles seront néanmoins déjà opérationnelles pour participer à la bataille des Ardennes.

Conséquences stratégiques

Conséquences politiques

L’échec allié tend les relations entre Britanniques et Américaines déjà tendues au moment de la bataille de Normandie. La guerre des ego accentue les rivalités entre les chefs (Dwight EISENHOWER, Bernard MONTGOMERY, George PATTON, Omar BRADLEY) qui veulent chacun apparaître comme le véritable vainqueur face aux armée allemandes sans oublier la propension, assez naturelle, de vouloir donner la priorité à ses propres unités.

Conséquences géopolitiques

Dans une perspective plus globale du redécoupage de l’Europe après la défaite du III. Reich, l’opération Market Garden par contre des conséquences dramatiques. Elle ruine la perspective d’une avance rapide sur la Ruhr puis sur Berlin. Anglais et Américains n’ont pas d’avantage décisif à opposer aux Soviétiques à la conférence de Moscou qui se déroule en octobre 1944. L’échec de Market Garden cumulé au piétinement dans les Vosges, en Lorraine, en direction de la Roer de part et d’autre d’Aix-la-Chapelle, dans la forêt de Hürtgen et dans la boucle de Venlo permettent aux Allemands de préparer la contre-offensive des Ardennes (opération Wacht am Rhein / Herbstnebel) sans être obligés d’engager les principales divisions blindées qu’ils destinent à la contre-attaque et qui peuvent ainsi se reconstituer. Si elle ne met pas réellement en danger les Alliés, la contre-offensive allemande paraît vite enrayée et incapable d’atteindre son premier objectif opérationnel (la Meuse), elle retarde significativement l’avance alliée à l’intérieur de l’Allemagne. Il faut attendre mars 1945 que le Rhin soit enfin franchi sur l’ensemble de sa largeur. Trop tard pour espérer contre-balancer l’influence soviétique sur l’Est de l’Europe que la conférence de Yalta entérine.

Bibliographie

Repères bibliographiques

L’opération Market Garden bénéficie d’une couverture historiographique importante. Cornelius RYAN structure le récit pour la postérité avec A Bridge Too Far qui ancre dans l’esprit du public que l’objectif est trop ambitieux, “un pont trop loin”. Son adaptation cinématographique lui permet un rayonnement très large.

Peu de livre en français existe sur le sujet, à l’exception de celui de Pierre STREIT qui fournit une analyse très pertinente des faiblesses du plan allié et des causes de son échec. Davantage analytique que descriptif, il faut se reporter à la trilogie proposée par Osprey dans sa collection Campaign, plus accessibles et agréables à lire que les volumes de la série Battleground chez Pen & Sword. même si les magazines proposent de très nombreux articles, tournés d’ailleurs davantage sur les combats pour Arnhem que le reste de la bataille. Les opérations au sol restent le parent pauvre de l’historiographie.

Livres

Collectif sous la direction de Jean LOPEZ, La Wehrmacht, la fin d’un mythe [Perrin, 2023]

Magazines et périodiques

39/45 Magazine

  • Georges BERNAGE, Montgomery joue et perd à Arnhem [39/45 Magazine n°4 (Heimdal, 1984)]
  • Stéphane JACQUET, Qopération Market-Garden, l’autre côté de la colline, les réactions allemandes du 17 au 25 septembre 1944 (2ème partie) [39/45 Magazine n°364 (Heimdal, 2020)]
  • Stéphane JACQUET, Opération Market Garden, l’autre côté de la colline, les réactions allemandes du 17 au 25 septembre 1944, Hell’s Highway (1ère partie) [39/45 Magazine n°363 (Heimdal, 2020)]
  • Stéphane JACQUET, Le saut de trop, Le Major General John Dutton Frost (1912-1993) à Arnhem [39/45 Magazine n°304 (Heimdal, 2012)]
  • Stéphane JACQUET, « Nous pourrions aller un pont trop loin… », l’épopée du Lt-General Sir Frederick Browning [39/45 Magazine n°303 (Heimdal, 2012)]
  • Matthieu LONGUE, Opération « Market-Garden », l’album photo des US Airborne Troops [39/45 Magazine n°357 (Heimdal, 2019)]

Ligne de Front

Mook 1944

  • Hugues WENKIN, La guerre est un sport d’équipe ! [Mook 1944 hors-série n°1 (Weyrich, 2019)]

Jeux d’Histoire