Dans un environnement toujours marqué par la guerre en Ukraine, Batailles & Blindés propose dans ce numéro un sommaire articulé autour de cinq articles principaux, quatre traitant de la Seconde Guerre mondiale et un du réarmement accéléré de la Pologne trente ans après la fin du Pacte de Varsovie…
Présentation
De fait, en raison de l’importante pagination des articles principaux, la rubrique actualité et recension se limite à quatre pages dont deux consacrées à une rencontre avec Romain DOUBLET animateur de MilitaryMachineFR qui expose sa passion et explique son fonctionnement. Cette répartition a également le grand mérite d’éviter la reprise sur plusieurs pages de billets du blog Zone militaire par ailleurs disponibles gratuitement.
Des sujets bien éculés sur la Seconde Guerre mondiale…
Eternelle Panzerwaffe !
Usant jusqu’à l’os, voire davantage, le concept “qui était le meilleur” qui a fait d’excellents articles à l’époque novateurs dans les différents magazines des Editions Caraktère, Batailles & Blindés revient sur l’évolution des divisions blindées allemandes tout au long du conflit pour tenter de démêler quelle version donne le meilleur résultat.
La Panzer-Division illustre en effet les succès allemands au début de la guerre, puis progressivement les limites et les carences de la Wehrmacht. Les plus belles victoires (et les plus nettes) s’obtiennent avec des unités composées de chars plutôt légers en très grand nombre, tandis que le virage technologique et de la puissance se combine avec l’arrivée des premiers revers puis de la défaite.
L’auteur, Nicolas PONTIC, décrit les évolutions des compositions théoriques successives en termes d’unités de combat (chars, artillerie, infanterie, défense anti-aérienne). Il insiste également sur l’appauvrissement qualitatif des équipages en raison des pertes à compenser, sachant que les engins et les configurations d’emploi deviennent de plus en plus complexes. Cette exigence devient incompatible avec l’accélération de la formation et la raréfaction des entrainements pour les nouveaux.
En effet, faute de pouvoir équiper correctement les divisions d’infanterie en appui feu, les grandes unités blindées allemandes deviennent progressivement absorbées par des tâches défensives alors qu’elles doivent procurer le punch dans les actions offensives. A cet égard, l’exemple de la bataille de Normandie est criant. Alors que les Allemands font le choix délibéré de concentrer un maximum de moyens blindés à l’Ouest pour contre-attaquer les Alliés une fois débarqués et les anéantir, ils se retrouvent dans l’incapacité de pouvoir préserver et regrouper ce potentiel pour une attaque décisive, chaque division se retrouvant immédiatement jetée dans la mêlée pour éviter l’effondrement du front. Avec un paradoxe particulièrement symbolique : l’opération Cobra réussit face à la 130. Panzer-Lehr-Division dans un rôle défensif qui occupe une portion statique du front.
Cependant, en ne se concentrant que sur les moyens de combat, les performances des principaux matériels et la formation des équipages, l’article néglige, comme malheureusement trop souvent dans les textes d’histoire militaire grand public, la dimension logistique, à la fois en pièces détachées, en essence et en munitions. Pourtant, l’actualité militaire souligne quotidiennement le poids que représentent ces dimensions dans la bataille, confirmant s’il en était besoin, les leçons des conflits mondiaux du siècle dernier.
Sur la forme, le sujet aurait pu donner lieu à une infographie innovante et parlante sur l’évolution des moyens et surtout en comparaison des adversaires rencontrés. S’opposer à une division d’infanterie américaine quasi systématiquement appuyée par de multiples appuis (chars, antichars, artillerie) sans compter le soutien aérien ne représente pas tout à fait le même enjeu qu’une division dénuée de ces bonus comme c’est le cas au début de la guerre.
Prusse orientale et Gumbinnen
Traditionnellement, l’historiographie francophone se concentre sur les combats à l’Ouest (essentiellement sur la Normandie et les Ardennes). De fait, les combats de l’été et de l’automne 1944 de la Wehrmacht face à l’Armée rouge reste globalement peu connus, même si quelques épisodes peuvent émerger ici ou là. Pourtant, ils méritent une plus grande attention, tant leurs conséquences rendent également faisable la possibilité de concentrer des moyens pour la future contre-offensive des Ardennes.
Après l’opération Bagration et les autres actions offensives soviétiques à partir du printemps 1944, le Troisième Reich réussit à se rétablir au prix d’un recul important et l’abandon d’un certain nombre d’alliés qui basculent au mieux dans une certaine neutralité (Finlande) au pire du côté de l’URSS (Roumanie, Bulgarie).
Loïc BECKER souligne quelques caractéristiques de ces combats : une mise en défense bien tardive, mais néanmoins réelle, bien qu’insuffisante, la longueur des opérations dès lors qu’aucune percée décisive ne se produit, la dissimétrie des pertes entre les deux camps. Le texte reste néanmoins très descriptif des opérations même s’il apporte quelques témoignages allemands (dont celui d’Alfred REGENITER qui peut être consulté de façon plus complète dans Ligne de Front hors-série n°38).
Koursk, côté soviétique
En parallèle de la publication concomitante de Trucks & Tanks Magazine n°97 et de l’article de Dominique RENAUD intitulé La bataille de Koursk, l’erreur ultime du III. Reich ?, Nicolas PONTIC revient sur cette bataille emblématique vue cette fois côté soviétique. Il rappelle ainsi la façon dont le décor se mette en place, puis décrit le renouveau de l’arme blindée soviétique qui, partie avec de meilleurs matériels contre l’opération Barbarossa, se retrouve désormais dépassée technologiquement et en termes de protection / puissance de feu par les nouveaux matériels allemands et cherche à combler l’écart.
Si le char peut constituer un môle défensif solide, il agit également en force de contre-attaque. Cette tactique se trouve d’ailleurs à l’origine d’un certain nombre de mythes autour de la bataille de Koursk et plus particulièrement de celle de Prokhorovka. Loin d’être des cimetières de Panzer, c’est plutôt l’inverse qui se produit. Mais, en effet comme souligné par l’auteur, le temps perdu à s’opposer à ces masses ne se rattrape pas. Le texte demeure cependant trop généraliste sans véritable référence en termes d’archives ou de sources reconnues. Dire que l’exemple de Koursk représente une innovation pour l’Armée rouge peut sembler quelque peu exagéré. En effet, dès les premiers jours de l’opération Barbarossa, les Soviétiques n’ont de cesse de lancer des contre-attaques qui font perdre du temps et usent l’adversaire (voir ainsi la fabuleuse trilogie de David GLANTZ sur la bataille de Smolensk ou encore les effort soviétiques face à Fall Blau dans Confronting Case Blue). Avec deux différences : la conduite des opérations montre davantage de maîtrise et le choix stratégique de la posture défensive en attentant l’attaque de l’adversaire est en juillet 1943 clairement assumée et intégrée dans un plan plus vaste.
Carentan 1944
Le quatrième article du numéro consacré à la Seconde Guerre mondiale ne présente pas non plus beaucoup d’originalité puisqu’il s’agit des combats pour Carentan après le Débarquement allié en Normandie.
Le sujet, même si déjà maintes fois abordé, ne manque pas d’intérêt. Tout d’abord, il marque la dernière phase de la consolidation de la tête de pont alliée. De l’est de l’Orne aux positions au-delà du Merderet au cœur du Cotentin, elle forme désormais un tout homogène. En abandonnant la ville, les Allemands perdent la possibilité d’isoler le secteur aéroporté américain et d’Utah Beach. La bataille voit également l’intervention, généralement peu étudiée dans le détail, de la 2nd US Armored Division. Ses premiers éléments arrivent tôt en Normandie et forment une réserve stratégique importante en arrière des première lignes américaines (position quasiment jamais évoquée dans l’historiographie de la campagne) prête à intervenir face à toute menace adverse avant d’intervenir au deuxième jour de l’opération Cobra pour obtenir la rupture définitive des lignes allemandes puis l’exploitation de la percée.
Le texte reprend à peu près tous les classiques de l’épopée qui oppose les Screaming Eagles aux diables verts.
Cap sur la Pologne !
Depuis 2014, il devient évident que la Russie cherche de nouveau à consolider ses positions sur son flanc occidental. De fait, la Biélorussie se trouve vassalisée mais l’Ukraine refuse de suivre le même chemin. La saisie de la Crimée et l’exacerbation des tensions nationalistes dans le Donbass en 2014 ouvrent une phase de tension avec l’Europe et l’Occident. Ces menaces rappellent de mauvais souvenirs aux pays voisins de la Russie qui dans le siècle précédent (et même avant) ont déjà souffert des visées expansionnistes de leur puissant voisin. L’invasion à grande échelle de l’Ukraine à partir du 24 février 2022 agit comme un nouveau rappel à l’ordre notamment pour les plus immédiatement exposés dont les Pays baltes et la Pologne.
La Pologne reprend de fait une place importante dans le jeu des nations en Europe de l’Est, profitant également d’un certain effacement de la puissance allemande toujours militairement atrophiée depuis 1945. L’enclave de Kaliningrad peut jouer le même rôle que celui de la Prusse orientale en septembre 1939 lors de l’invasion allemande avant le coup de grâce soviétique acquis avec le Pacte germano-soviétique.
Cette situation géographique et géopolitique entraine donc un réarmement massif de la Pologne qui voit l’hypothèse d’un conflit terrestre majeur sur son territoire loin d’être une seule vague lointaine hypothèse de travail.
L’urgence de la situation lui permet de faire feu de tous bois. En creux, le réarmement de la Pologne et les choix qu’il entraine montre la faiblesse des autres puissances militaires européennes continentales tant d’un point de vue de la masse que sur le terrain industriel (BITD) tant elles sont incapable de satisfaire les besoins en volume et dans les délais requis.
Jordan PROUST, après un article OTAN contre Russie, un conflit inévitable ? publié dans le numéro précédent, se penche sur cette révolution qui voit l’armée polonaise solder définitivement son héritage soviétique héritée du Pacte de Varsovie.
Le texte n’aborde cependant pas réellement les possibilités d’action de cette armée métamorphosée. Sa situation en fait une position idéale pour projeter des troupes dans les Pays baltes en cas d’agression russe. A condition de tenir ouvert le corridor de Suwałki et de neutraliser toute capacité russe à partir de Kaliningrad. Elle représente également un glacis de défense en cas d’agression plus généralisée, mais moins probable. Donc, au-delà de l’accumulation des matériels et des ambitions industrielles dans le domaine de la défense, ce qui est aussi une façon de se renforcer économiquement, la question de l’emploi envisagé de cette masse mériterait d’être bien plus détaillée.
Sur la forme, là aussi, l’article gagnerait à utiliser de l’infographie peut être davantage que de multiplier des clichés de matériels contemporains parfois très similaire ou assez ternes comme le sont souvent les photos officielles. Quelques graphes comparant les effectifs des principales armées de l’OTAN en Europe, russes et biélorusses et des capacités de quelques matériels auraient été bien plus appréciables.
Conclusion
Ce numéro peinera à convaincre les lecteurs expérimentés de son intérêt compte tenu des thèmes déjà bien connus et en l’absence d’approche éditoriale véritablement innovante. Sauf à vouloir réviser quelques classiques. Le fond reste cependant d’excellente facture pour des lecteurs qui ne dévorent pas depuis leur début les publications des Editions Caraktère et de quelques autres.
Si la mise en page soignée, la cartographie colorée, les profils couleurs, les clichés de vétérans ou officiels sont désormais des standards incontournables, il reste à proposer des petits plus dont justement la guerre en Ukraine montre l’importance. La logistique, le maintien en condition opérationnelle, les moyens de bréchage et de franchissement en font partie. La valorisation des données devient également un atout pour l’éditeur qui saura s’en saisir comme l’a été le passage des seules listes listes de division à l’affichage des dotations réelles. Etant entendu que les seuls chiffres de chars ne peuvent illustrer les capacités de combat d’une unité…
Voir aussi…
Sommaire
- Loïc BECKER, “J’ai pu construire mes deux passions : la Normandie et les véhicules militaires”, Romain de MilitaryMachineFR : interview de Romain DOUBLET, animateur du site MilitaryMachineFR, sa passion pour la restauration des anciens engins militaires (2 pages)
- Actualité du livre (Le général Delestraint, L’ours et le renard, Si Rome n’avait pas chuté, Les tracteurs & semi-remorques de l’U.S. Army, La Finlande dans la Seconde Guerre mondiale, 6 frères dans la guerre)
- Jordan PROUST, Le phénix polonais, de la décadence post-soviétique à la plus puissante armée d’Europe ? : évolution de l’armée polonaise avec son réarmement accéléré à partir des années 2000 (chars, canons automoteurs, avions) entamé via le développement de matériels nationaux et l’achats dans d’autres pays (10 pages)
- Nicolas PONTIC, Panzerwaffe 1940, 1943, 1944, laquelle était la meilleure ? : historique des évolutions des divisions blindées allemandes en termes d’organisation, de formation, de matériel (20 pages)
- Loïc BECKER, L’échec de Gumbinnen, les Soviétiques butent sur la Prusse : mise en défense de la Prusse orientale par la 4. Armee face à l’avance soviétique du Troisième Front soviétique de Biélorussie, combats pour Gumbinnen et Goldap (20 pages)
- Nicolas PONTIC, Les chars soviétiques à Koursk, un emploi innovant ? : emploi en défense des unités blindées soviétiques et dans des contre-attaques lors de la bataille de Koursk (14 pages)
- Loïc BECKER, Bloody Carentan, quand les aigles attaquent : combats pour Carentan entre les 101st US Airborne Division, Fallschirm-Regiment 6, 17. SS-Panzergrenadier-Division et 2nd US Armored Division (10 pages)

Caractéristiques
- Nombre de pages : 82
- Langue : Français
- Couverture : cartonnée
- Reliure : agrafée
- Dimensions : 21 x 29,7 cm
- Prix conseillé France à la date de parution : 7,80 € TTC
Historique de la page
- Dernière mise à jour : 14/09/2023
- Création : 29/07/2023