Avec trois articles sur cinq et une couverture faisant la part belle aux fauves tigrés germaniques, ce numéro de Batailles & Blindés ne peut que faire écho aux propos tenus par Nicolas AUBIN dans La Wehrmacht, la fin d’un mythe à propos de la “Wehrmachtmania”. Malgré la qualité de ses auteurs, certains sujets, thèmes et témoignages paraissent tellement ressassés que la compilation d’un tel sommaire peut surprendre. Heureusement, l’article particulièrement bien ficelé sur le T-72 procure un inespéré bol d’oxygène…
Présentation
Nouvelle formule ?
Un badge bien mis en évidence à côté du logo titre du magazine sur la couverture attire immédiatement l’attention : “nouvelle formule” ! Première surprise car Batailles & Blindés vient de connaître une évolution, plus sur la forme que sur le fond, avec son n°100.
En tournant la première de couverture, l’éditorial devrait assurément apporter quelques éclaircissements. Mais point de détail, juste quelques considérations sur la nature “politique” de l’aide militaire des capitales occidentales à destination de l’Ukraine… Reste alors le sommaire, mais là non plus, aucune trace de changement sinon une nette domination des sujets germaniques. Bref, cette annonce de nouvelle formule laisse perplexe et on cherche encore la nouveauté.
Un peu de France 1940…
Un titre d’article capte cependant l’attention puisque les Divisions Légères Mécaniques (DLM) bénéficient d’une étude qui souligne leur “certaine modernité”. Le contenu se révèle assez vite décevant si ce n’est un rappel des débats doctrinaux qui animent la cavalerie durant l’Entre-deux-guerres.
Le texte ne balaye que rapidement l’équipement et la constitution de ces unités d’un nouveau type qui devancent cependant la mise sur pied des premières divisions blindées allemandes (cocorico) et celle de la Mobile Division britannique. Très loin donc du niveau de détail procuré par les GBM hors-série n°1, 2 et 5, même si les premiers paragraphes introduisent bien le contexte.
Le détail de l’emploi opérationnel des DLM en mai 1940 se contente malheureusement de reprendre les habituels poncifs sans chercher à aller plus loin dans les points forts et les points faibles de ces unités. Nulle trace non plus d’une quelconque comparaison qui pourrait être faite avec les Leichte Divisionen dont les Allemands abandonnent rapidement le concept à l’issue de l’invasion de la Pologne en raison des limites observées durant leur baptême du feu. Un exercice d’analyse que les Français ne réalisent pas malgré les nombreuses informations qu’ils recueillent auprès de leurs alliés polonais.
Si la capacité de projection des trois DLM dans les premières heures de la manœuvre Dyle-Breda représente un certain succès, celui-ci apparait vite comme inutile en raison de la rigidité opérationnelle française qui laisse alors peu de place à des improvisions et du manque d’initiative tactique. La 1ère Division Légère Mécanique (DLM) laisse ainsi échapper la possibilité de contrecarrer les plans allemands d’exploiter la prise des points de franchissement sur la Meuse et sur le canal Albert, permettant ainsi à la 9. Panzer-Division de rejoindre juste à temps les parachutistes qui l’attendent sur le pont de Moerdjik.
L’appréciation des combats de Hannut / Gembloux reste également conforme à certaines interprétations qui y voient un magnifique succès du Corps de Cavalerie français face aux divisions blindées allemandes. Mais rendu “vain car Gamelin est tombé dans le piège allemand”. Cela dit, l’une des rares réserves mobiles françaises immédiatement disponible à proximité de la percée allemande sur la Meuse sur une centaine de kilomètres (et pas uniquement à Sedan) sort des combats meurtrie et sans avoir véritablement rempli son rôle de donner du temps pour verrouiller la charnière entre la Meuse et la Dyle.
La comparaison se trouve également particulièrement biaisé par la phrase “aux 623 Panzer alignés par les Allemands, Prioux répond avec notamment 176 Somua S35“. D’un côté on garde les Panzer I et Panzer II qui représentent l’essentiel de l’ordre de bataille des 3. Panzer-Division et 4. Panzer-Division (près de 80% du total), de l’autre on oublie allégrement les Hotchkiss H35, H39 et les AMR 35. Pas sérieux car cela induit en erreur tout lecteur n’ayant pas cette connaissance et laisse perdurer le mythe que les Français sont totalement dépassés en nombre de chars.
Ultime regret, les enseignements tirés immédiatement à l’issue des combats et le rôle des DLM dans la seconde partie de bataille de France sont les grands absents de la conclusion.
Panzer, Tiger, Königstiger, Waffen-SS…
Max STEIN et Stephan CAZENAVE connaissent assurément leurs sujets et possèdent une certaine expertise qui leur permet de publier plusieurs ouvrages recelant détails et témoignages, notamment chez Maranes. Car le réseau tissé avec les anciens combattants allemands leur permet de sortir de nombreuses photos issues des collections privées (même encore au moment de la bataille de Normandie) et d’apporter des éclairages tactiques intéressants surtout quand une partie des archives disparait dans les affres de la défaite et de la retraite. Idem pour Didier LAUGIER, reconnu également pour ses ouvrages parus chez Heimdal à propos de la Sturmartillerie et plus dernièrement pour son Encyclopédie du Panzergrenadier.
L’interrogation ne porte pas tant sur le fond des leurs articles, mais sur le fait de réunir dans le même numéro ces trois plumes surtout reconnues pour aborder des sujets autour de l’armée allemande, ce qui est évidemment le cas ici.
Sur le fond justement, Max STEIN développe un intéressant comparatif basé sur l’analyse technique et les témoignages d’anciens as et membres d’équipage (Otto CARIUS, Richard von ROSEN, Gotthold WUNDERLICH, Erwin SIEHL, Franz-Wilhelm LOCHMANN, Alfred RUBBEL) entre le Tiger et le Königstiger. L’auteur évoque également les questions industrielles et techniques généralement peu abordées dans la littérature spécialisée.
Quant à Stephan CAZENAVE, il retrace l’engagement de la 17. SS-Panzergrenadier-Division en Normandie. Le parcours de cette unité permet de comprendre les limites atteintes alors par l’armée allemande pour équiper ses nouvelles unités et les déficiences qu’elles doivent gérer ainsi que leurs conséquences opérationnelles. Les combats évoquent bien sûr la contre-attaque sur Carentan, sur le canal de la Taute à la Vire, à Sainteny, à l’issue de l’opération Cobra notamment la poche de Roncey, l’opération Lüttich sur Mortain, le repli à travers la poche de Falaise/Trun/Chambois puis la traversée de la Seine.
De son côté, Didier LAUGIER dépeint également le parcours quelque peu original et scindé de la Panzer-Abteilung z.b.V 40 de la conquête de la Norvège aux combat en Carélie.
Le T-72 comme rayon de soleil
Si le filon germanique, que ce soit ses fauves ou l’engagement de ses unités de la Waffen-SS en Normandie semble réellement s’épuiser, celui lié à l’Ukraine peut donner quelques lueurs d’espoir. a condition de savoir s’y prendre !
Et c’est d’ailleurs bien le as avec le très bon dossier proposé par Benjamin GRAVISSE sur le T-72. Loin d’être un succédané des brèves de réseaux sociaux et de blogs spécialisés comme peuvent l’être les rubriques d’actualité, son article sur le T-72 est un modèle du genre. Bien structuré, faisant des choix et les expliquant, il n’oublie pas de se plonger dans les concepts qui président à l’élaboration du char russe à l’époque où il était soviétique.
Pour couronner le tout, le style dynamique, parfois teinté d’humour, rend le tout particulièrement agréable à lire et à relire.
Conclusion
Un numéro très loin d’être une nouvelle formule à moins de considérer que reprendre les poncifs sur la bataille de France et de n’aborder la Seconde Guerre mondiale principalement que sous l’angle des Panzer et de la Waffen-SS soit novateur… Un résultat dû, non aux auteurs, mais à une construction éditoriale à court d’imagination.
Voir aussi…
Sommaire
- Actualités
- Max STEIN, Le Tiger I de Saumur bientôt restauré !
- Loïc BECKER, “Passion Militaria, c’est moi et mon téléphone et ça sera toujours ainsi”
- Actualité du livre (Le général Gouraud, 3 minutes pour comprendre 50 événements clés de la Première Guerre mondiale, Crécy 1346)
- Didier LAUGIER, Les Panzer du Grand Nord, la Panzer-Abt. z.b.V. 40
- Benjamin GRAVISSE, Le T-72, le cheval de bataille de l’armée russe
- Max STEIN, Tiger I ou Tiger II, lequel était le meilleur ? La réponse des tankistes allemands !
- Loïc BECKER, Les Divisions Légères Mécaniques, une certaine modernité
- Stephan CAZENAVE, “Götz von Berlichingen”, le baptême du feu normand
Thèmes abordés
- Périodes : Entre-deux-guerres 1919/1939, Seconde Guerre mondiale 1939/1945, Ukraine 2013/…
- Fronts : Europe 1939/1945, Ouest 1940, Ouest 1944/1945, Danemark 1940, Norvège 1940, Carélie 1941/1944, URSS 1941/1945, Normandie 1944, Ukraine 2022/…
- Batailles : Carentan 1944, Taute 1944, Sainteny 1944, Opération Cobra 1944, Roncey 1944, Opération Lüttich 1944, Mortain 1944, Poche de Falaise/Trun/Chambois 1944, Seine 1944,
- Matériels : T-72, T-72B3, Panzer VI Ausf. E Tiger, Panzer VI Ausf. B Königstiger,
- Unités : Panzer-Abteilung z.b.V. 40, Arme blindée et cavalerie française, Divisions Légères Mécaniques (DLM), 17. SS-Panzergrenadier-Division
Caractéristiques
- Nombre de pages : 82
- Langue : Français
- Couverture : souple
- Reliure : agrafée
- Dimensions : 21 x 29,7 cm
- Prix conseillé France à la date de parution : 7,80 € TTC
Historique de la page
- 05/02/2023 : création
Quelles dures remarques ! Vous brocardez les croix noires dans ce magazine mais vous leur faites un accueil favorable dans 39/45, qui s’en est fait une spécialité. Un esprit taquin pourrait penser que vous avez une dent contre les éditions Caraktères ! C’est dommage.
Non, je suis plutôt fan des Éditions Caraktère. Vous aurez noté que ce n’est pas tellement le contenu que je critique mais l’assemblage. En plus les auteurs sont bons.
Les querelles de chapelles et les luttes d’ego ne m’intéressent pas.