A l’exception des rubriques d’actualités, ce numéro d’Aérojournal propose un sommaire entièrement dédié à la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement au théâtre européen. Rien de rédhibitoire tant les sujets sont soit originaux, soit présentés de façon iconoclaste loin d’être un simple travail de recopie…
Présentation
Après quelques brèves d’actualités, la rubrique concernant le livre fait elle aussi ouvre d’originalité avec une invitation à découvrir les publications de l’association italienne Lamba Doria.
Deux portraits opposés d’ombre et de lumière
En suivant le parcours de Franz STIGLER qui décide de rejoindre le front après avoir été instructeur, Antoine PIERRE aborde sur un épisode peu glorieux qui voit un Schwarm de la Jagdgeschwader (JG) 27 se coordonner pour déclarer de fausses victoires sur la base d’engagements fictifs. Belle illustration des biais que provoque la course à la reconnaissance. Cela dit, l’affaire, bien étouffée, ne porte pas tellement préjudice à ses protagonistes.
A contrario, le portrait fait quelques pages plus tard de l’Américain Elwyn RIGHETTI montre un profil plus humble, peut-être moins individualiste. A noter que l’article insiste également sur les possibilités de straffing offertes dans l’Allemagne de la fin du conflit à tout appareil allié une fois sa mission principale accomplie, en l’occurrence l’escorte de bombardiers. L’absence désormais définitive de la Luftwaffe dans le ciel dégage un terrain de chasse infini.
Un dynamisme polonais décidément mal connu !
Sèchement battue en 1939 par la double agression germano-soviétique, la Pologne partage les mêmes syndromes que la France un an plus tard. Le fait que ces deux pays ne puissent pas développer leurs projets les confinent à une image technologiquement dépassée, voire arriérée, dans une certaine historiographie pas encore totalement disparue malgré les efforts de nombreux historiens et auteurs. A la différence de l’adversaire allemand qui, au-delà de ses victoires militaires, peut exposer ultérieurement l’aboutissement du travail de ses bureaux d’études, les projets polonais et français ne bénéficient pas (encore ?) de la même attention que celle qui prévaut pour la longue de liste de ceux plus ou moins entamés à la fin du conflit pour le Troisième Reich pour lesquels l’historiographie déborde…
Yann MAHE rend ici quelque peu justice à l’aviation polonaise, qui comme son alliée française, ne reste pas figée dans les années 1930 et déborde de projets à l’instar de ce qui est exposé ici. Un utile complément à Ligne de Front n°100 et à son dossier Et si la guerre avait débuté un an plus tard. Le tout illustré de profils couleurs uchroniques originaux.
Grand, coup, victoire, défaite ?
Le dossier principal du numéro se penche sur l’opération Bodenplatte destinée à mettre hors d’état d’intervenir les chasseurs-bombardiers alliés au-dessus des Ardennes durant l’opération Wacht am Rhein / Herbstnebel.
Souvent présentée comme un terrible échec, l’auteur propose une lecture quelque peu différente. En effet, si les pertes allemandes sont importantes, notamment avec la disparation de quelques désormais trop rares pilotes expérimentés, et l’emploi de chasseurs pour des missions d’attaque au sol pas toujours optimisés pour cela, le nombre d’appareils alliés détruits en une journée n’a jamais été aussi élevé.
En fait, deux zones d’ombre apparaissent encore aujourd’hui et méritent de poursuivre les recherches. Les dégâts imposés aux Alliés restent dans un premier temps volontairement cachés et rendent ensuite confus les décomptes, encore de nos jours. Enfin, la question de la date retenue par les Allemands pour finalement lancer leur grand attaque interroge.
En effet, l’opération Bodenplatte doit initialement être déclenchée au départ de l’attaque dans les Ardennes. Si le 16 décembre 1944 les conditions météorologiques ne le permettent effectivement pas, il n’en est pas complètement de même les jours suivants. Or, la Luftwaffe choisit de contester la suprématie aérienne alliée au-dessus du champ de bataille alors que nombre de ses pilotes ne possèdent ni assez d’entrainement, ni assez d’expérience pour le faire. Il en résulte une attrition importante qui grève les moyens réservés pour Bodenplatte. Une vraie question aujourd’hui sans réelle réponse…
Eternel dilemme
Dans les arbitrages entre aviation tactique et stratégique, on ne peut s’empêcher de penser à ceux qui opposent répartition des chars dans des grandes unités blindées ou en appui de l’infanterie au début du conflit.
En fait, les deux sont nécessaires, mais la question des capacités se posent et donc des choix à opérer. Peu de pays ont en effet les moyens à la fois industriels et financiers pour atteindre la taille critique de part et d’autre. Seuls les Etats-Unis parviennent dans plusieurs domaines à couvrir l’ensemble du spectre.
L’article de Yann MAHE montre également le rôle essentiel de quelques figures dans la prise de décision et surtout les luttes d’influence entre différences écoles. Rien d’anormal dans les organisations, qu’elles soient politiques, civiles ou militaires. Il n’empêche que le parcours du bombardier stratégique de la Luftwaffe est loin d’être linéaire et que certains responsables paraissent un peu obtus dans leur choix à l’image de l’obsession d’Ernst UDET qui veut que chaque appareil soit capable d’attaquer en piqué nonobstant les contraintes techniques que cela impose.
Un dernier article passionnant pour plein de sujets, aussi bien matériels, que stratégiques, organisationnels et humains.
Conclusion
Le n°95 d’Aérojournal est un excellent cru à savourer de bout en bout. Seules les 6,5 pages de reprise des billets du blog Zone militaire semblent faire d’avantage office de remplissage (comme dans d’autres titres de la maison d’édition). Non seulement il est dommage de faire payer un contenu par ailleurs gratuit (un simple rappel des brèves les plus marquantes publiées dans les deux mois pourrait amplement suffire), alors qu’il manque un vrai traitement de l’actualité qui trouve sa place entre réseaux sociaux et les premiers livres (sérieux) à consonnance historique (au sens de recherche et d’analyse sachant se départir des propagandes respectives) par définition pas encore parus. Des chroniques ukrainiennes (petit clin d’œil à la série “chroniques africaines” parue en son temps dans Batailles & Blindés) relayées en fonction des terrains dans les différents périodiques siglés Caraktère aurait de la gueule sous réserve, évidemment, que les contributeurs soient à peu près neutres sur le sujet ou ne se soient pas fait préalablement remarquer par leur vindicte et leur fiel.
En effet, les brèves telles que présentées actuellement reprennent souvent en boucle des informations publiques (ouvertes) issues très souvent des communiqués officiels ou de remontées “OSINT”. On pourrait donc imaginer ainsi des chroniques thématiques qui apportent un peu de recul et qui commencent à construire l’Histoire des tensions en cours en utilisant les habituels standards iconographiques des Editions Caraktère. Que ce soit dans les airs, sur terre ou sur mer, plusieurs engins et quelques robes donneraient de très beaux profils couleurs particulièrement originaux.
Ultime remarque, dommage de ne pas profiter également de certains des sujets traités pour rappeler d’anciennes excellentes contributions dans ce même magazine pour inciter les lecteurs qui ne les ont pas à se les procurer, soit en papier, soit en format numérique pour les numéros épuisés.
Voir aussi…
Sommaire
- L’actualités de l’aéronautique
- Actualité du livre (Siegfried Freytag, l’as de la Légion, Les avions et hydravions Loire, Sicilia.ww2/Libia.ww2)
- Antoine PIERRE, N’est pas Marseille qui veut ! Franz Stigler et la controverse du Schwarm Vögl : : manipulation des chiffres de victoires au sein de la Jagdgeschwader (JG) 27 en Afrique du Nord et scandale finalement étouffé qui génère de grosses interrogations sur la réalité du palmarès de Franz STIGLER (8 pages)
- Yann MAHE, Ces beaux oiseaux tués dans l’œuf, et si la Pologne avait été envahie plus tard ? : les programmes d’avions (PZL.45 Sokol, PZL.46 Sum, PZL.48 Lampart, PZL.49 Mis, PZL.50 Jastrzab, PZL.53 Jastrzab II, PZL.55, PZL.56 Kania, LWS-3 Mewa, PWS-42, RWD-25) et de réarmement de l’armée de l’air polonaise stoppés par l’invasion germano-soviétique de septembre 1939 (8 pages)
- Philippe CORNIL, 1er janvier 1945, Bodenplatte, la victoire de trop : genèse, planification et organisation de l’opération Bodenplatte, questionnement autour des choix stratégiques de la Luftwaffe au-dessus des Ardennes en appui de l’opération Wacht am Rhein / Herbstnebel, effets et impacts des attaques allemandes (28 pages)
- Yann MAHE, Le roi du straffing, Elwyn G. Righetti, un as bien spécial de la 8th Air Force : parcours et itinéraire d’Elwyn RIGHETTI, pilote sur P-47 et P-51, affecté à des missions d’escorte des bombardiers de la 8th US Air Force au cours desquelles il en profite pour attaquer des objectifs au sol, notamment dans les derniers mois du conflit avant de disparaitre mystérieusement à quelques semaines de la chute du Troisième Reich (10 pages)
- Yann MAHE, De L’Uralbomber à l’Amerikabomber, le bombardement stratégique, le pari perdu de la Luftwaffe : histoire des bombardiers stratégiques de la Luftwaffe, des premières impulsions de Walther WEVER aux projets Junkers Ju 89, Dornier Do 19, Heinkel He 177, Messerschmitt Me 264 et Horten Ho XVIII illustrant à la fois les plans surdimensionnés de réarmement et les luttes d’influence intestines avec UDET, MILCH et GÖRING (14 pages)

Thèmes abordés
Seconde Guerre mondiale 1939/1945, Europe 1939/1945, Afrique de Nord 1940/1943, Jagdgeschwader (JG) 27, Franz STIGLER, Avions polonais, PZL.45 Sokol, PZL.46 Sum, PZL.48 Lampart, PZL.49 Mis, PZL.50 Jastrzab, PZL.53 Jastrzab II, PZL.55, PZL.56 Kania, LWS-3 Mewa, PWS-42, RWD-25, Ouest 1944/1945, Opération Wacht am Rhein/Herbstnebel 1944, Ardennes 1944/1945, Ardennes 1944/1945 – opérations aériennes, Opération Bodenplatte 1945, Luftlotte Reich, II. Jagd-Korps, Jagdgeschwader (JG) 1, Jagdgeschwader (JG) 2, Jagdgeschwader (JG) 3, Jagdgeschwader (JG) 4, Jagdgeschwader (JG) 6, Jagdgeschwader (JG) 11, Jagdgeschwader (JG) 26, Jagdgeschwader (JG) 53, Jagdgeschwader (JG) 54, Jagdgeschwader (JG) 77, Schlachtgeschwader (SG) 4, Kampfgeschwader (KG) 51, Kampfgeschwader (KG) 76, Base aérienne Eindhoven, Base aérienne Gilze-Rijen, Base aérienne Volkel-Uden, Base aérienne Deurne, Base aérienne Evere, Base aérienne Le Culot, Base aérienne Maldegem, Base aérienne Melsbroek, Base aérienne Ophoven, Base aérienne Saint-Denis Westrem, Base aérienne Saint-Trond, Base aérienne Ursel, Base aérienne Etain, Base aérienne Metz-Frescaty, 8th US Air Force, Elwyn RIGHETTI, 55th US Fighter Group, North American P-51 Mustang, Bombardiers allemands, Luftwaffe, Walther WEVER, Hermann GÖRING, Ernst UDET, Junkers Ju 89, Dornier Do 19, Erhard MILCH, Heinkel He 177, Messerschmitt Me 264, Horten Ho XVIII
Caractéristiques
- Nombre de pages : 82
- Langue : Français
- Couverture : souple
- Reliure : agrafée
- Dimensions : 21 x 29,7 cm
- Prix conseillé France à la date de parution : 7,80 € TTC
Historique de la page
- Création : 08/08/2023