Les auteurs, Craig LUTHER et David STAHEL, entreprennent dans Soldiers of Barbarossa un exercice original et particulièrement intéressant. Faisant totalement abstraction des historiques officiels et d’une simple narration des combats, ils reconstituent les premiers mois de l’invasion de l’URSS en s’appuyant sur les lettres et les journaux d’époque des soldats allemands engagés sur ce front immense…
Présentation
Forme
Protégé par une couverture cartonnée elle-même recouverte d’une jaquette couleurs, le livre comprend presque quatre cent pages. Deux ensembles de photos proposent quelques illustrations d’archives, mais la qualité de reproduction reste médiocre avec un grain de papier assez poreux. N’étant pas un album à portée iconographique, ce n’est pas bien grave et les clichés ont le mérite d’exister.
Le corps de l’ouvrage consiste réellement en deux cent quatre-vingt pages. Plus d’une centaine qui contiennent annexes, notes et références bibliographiques.
Témoignages sans fard
Le grand intérêt du travail proposé par Craig LUTHER et David STAHEL repose sur la transcription d’extraits de courriers ou de journaux personnels rédigés par des soldats allemands participant à l’opération Barbarossa. Ces écrits représentent une matière inestimable car elle traduit sans fard leur pensée du moment, sans avoir la tentation de réécrire l’histoire ou de travestir ses sentiments après-coup comme le font ceux qui rédigent après-guerre leurs souvenirs.
Le ton employé reste assez libre. Si la censure existe, elle ne peut viser tous les plis ainsi envoyés. David STAHEL procure dans son introduction quelques détails sur le volume que ces échanges épistolaires représentent. Au demeurant, un vrai casse-tête logistique alors que les lignes sont déjà mises à mal par les seuls besoins des unités de combat en termes de mouvement et de ravitaillement.
Effets de la propagande ou méthode Coué
Certains textes peuvent surprendre par l’aveuglement des auteurs. Tel cet homme de la 294. Infanterie-Division qui pense que les Américains (pourtant pas encore en guerre) ne peuvent livrer davantage aux Soviétiques à cause de la glace qui figent les ports. Et que les Allemands ont privé les Russes du fer, du charbon et de l’aluminium, rendant ainsi difficile de produire quoique ce soit (page 246).
Le moral reste haut jusque tard dans la saison, tel cet homme de la 6. Infanterie-Division qui écrit le 10 octobre 1941, six semaines après le début de l’opération Taïfun, que la guerre est désormais presque finie et que le victoire sera annoncée avant que sa lettre ne parvienne en Allemagne (page 207). Le même écrit à propos de son adversaire qu’il est “l’ennemi de la civilisation”. Les termes de Bolcheviques et de sous-hommes reviennent ainsi régulièrement, traduisant ainsi l’imprégnation de la logorrhée nazie dans les esprits.
Les conditions climatiques (la chaleur, la poussière, la boue, le froid, la neige) et leurs conséquences sur la vie quotidienne sont omniprésents.
La vision du combattant reste cependant toujours très parcellaire et limitée à son propre environnement immédiat. Il n’aucune vision claire de ce qu’il se passe ailleurs. Quand viennent les assauts soviétiques et le repli durant la contre-offensive d’hiver, les repères s’envolent définitivement et l’inconnu règne. Sans compter un monceau de certitudes qui s’effondrent.
La conclusion d’un soldat de la Heeresgruppe Nord traduit en quelques mots la métamorphose que l’invasion de l’URSS entraine : “cette campagne nous a changé à la fois extérieurement et intérieurement” (page 281). Cette simple et courte phrase traduit ainsi l’impact du “Front de l’Est”, et ce n’est pas fini…
Champ immense d’exploration historique
Au regard des millions d’hommes engagés, le pourcentage d’écrits étudiés peut paraître bien dérisoire. Malgré la guerre et les conditions qui entourent la fin du conflit en Allemagne, un nombre important de documents parvient cependant à subsister à la défaite et à l’inévitable nettoyage de printemps des particuliers ou de la destruction des pièces au gré des successions, ces morceaux d’écrits n’ayant pas la même valeur sentimentale pour les descendants.
Parmi tous les matériaux sur lesquels les historiens travaillent, les lettres et carnets personnels manuscrits représentent un contenu moins accessible que les archives et historiques des unités, interrogatoires, etc. En effet, leur contenu se trouve rarement numérisé et souvent peu facilement déchiffrable. Il ne suffit pas de maîtriser en l’occurrence l’allemand, mais également la calligraphie de l’époque sans parler de la lisibilité propre à chacun. Bref, il s’agit d’un véritable travail de fourmi, loin d’une synthèse des synthèses de textes déjà publiés que pratique une multitude d’auteurs.
The purpose here has been to draw a broad outline of how the current historiography evaluates and contextualizes the world of the German soldier in the Barbarossa campaign. t underlines many of the broad themes that arise in the letters themselves, but it is the myriad individual perspectives, shaped by different experiences and personalities, that make field post such a compelling source of evidence.
David STAHEL, Soldiers of Barbarossa, Combat, Genocide, and Everyday Experiences on the Eastern Front, June-December 1941 [Stackpole, 2020], page 15.
Ici, les auteurs utilisent plus d’une centaine de contributions individuelles représentatives de l’ensemble des secteurs du front. Rédigés par de simples soldats, des sous-officiers et des officiers, ces extraits traduits en anglais ne concernent quasiment que des unités au sol. A quelques exceptions près, il est possible d’identifier l’unité ou la division dans laquelle sert l’auteur. Et donc d’apprécier le contexte immédiat.
Approche chronologique
Les auteurs choisissent une approche uniquement chronologique. Ils présentent ainsi des extraits dans l’ordre de leur datation par leurs rédacteurs. Les deux premières entrées se situent au 15 juin 1941, soit une semaine avant le déclenchement effectif de l’opération Barbarossa. Les dernières dates du 15 décembre 1941. Entre les deux, la Wehrmacht et ses alliés avancent de plusieurs centaines de kilomètres à l’intérieur du territoire soviétique. La fournaise de l’été laisse place à la boue de l’automne puis au gel, à la neige et au grand froid de l’hiver russe. Après les victoires du début de la campagne viennent les premiers doutes, les difficultés, l’usure, les questions puis la retraite devant la contre-offensive soviétique de l’hiver.
Seul le tout premier chapitre d’une quinzaine de pages cherche une approche plus analytique et s’extrayant du détail de chacun des écrits.
Chaque mois représente un chapitre, lui-même introduit par deux à trois pages de contexte.
La guerre absolue
Pour reprendre le sous-titre de l’ouvrage titanesque de Jean LOPEZ et de Lasha OTKHMEZURI sur l’opération Barbarossa, la guerre en URSS dépasse bien largement la dimension uniquement militaire au sens des combats et opérations. Elle revêt également une dimension idéologique et raciale bien plus que les précédentes campagnes menées par la Wehrmacht quoique cette tendance se retrouvent déjà dans l’invasion de la Pologne, mais moins à l’Ouest, mis à part quand il s’agit de soldats coloniaux.
La question de la moralité de certaines actions ressort explicitement dans les écrits. La nature impitoyable de la lutte sur ce front également. Les conditions climatiques parfois dantesques ne font qu’accentuer la notion de déshumanisation qui entraine l’ensemble de l’armée allemande.
L’ambiance exaltée des premiers jours parait déjà bien loin…
Conclusion
Cette approche originale mérite d’être dupliquée à d’autres fronts, d’autres batailles et d’autres belligérants. La force de ces écrits permet en effet d’obtenir une vision issue directement du terrain, sans filtre, sauf celui de celui qui écrit sur le tas. Cet angle d’approche peut également s’appliquer à bien d’autres conflits, ce qui pose la question de la préservation des correspondances privées des soldats et généraux à des fins historiques. Le sujet se pose encore davantage depuis l’arrivée d’internet, des messageries électroniques et instantanées ainsi que des réseaux sociaux.
La lecture peut se faire d’une traite, elle n’est pas rébarbative, ou en picorant en fonction de ses centres d’intérêt avec l’aide de l’index fourni en fin de livre. Une soixantaine de pages de notes complètent et contextualisent ces fragments de texte. Petite difficulté, elles se situent en fin d’ouvrage et non en bas de page, obligeant le lecteur à devoir jongler avec les feuilles.
Enfin, cet ouvrage trouve un très utile complément avec celui paru trois ans plus tard et rédigé par David STAHEL. Il s’agit cette fois d’analyser et de décortiquer la correspondance sur la même période de quatre généraux de la Panzerwaffe.
Voir aussi…
Sommaire



Thèmes abordés
- Périodes : Seconde Guerre mondiale 1939/1945
- Fronts : Europe 1939/1945, URSS 1941/1945
- Batailles : Opération Barbarossa 1941
- Unités : Nachschub-Bataillon 563, Bau-Batallion 46, Pionier-Regimentsstab z.b.V. 514, Brücken-Bau-Bataillon 159, Eisenbahn-Bau-Bataillon 511, Reservelazarett Obernigk, Artillerie-Regiment 70, Nebelwerfer-Regiment 51, Flak-Sondergeräte-Werkstärke-Zug 13, Flak-Lehr-Regiment, Flak-Regiment 49 Reserve-Flak-Abteilung 717, Zerstörergeschwader (ZG) 26, 1. Infanterie-Division, 5. Infanterie-Division, 6. Infanterie-Division, 12. Infanterie-Division, 17. Infanterie-Division, 23. Infanterie-Division, 31. Infanterie-Division, 32. Infanterie-Division, 35. Infanterie-Division, 44. Infanterie-Division, 45. Infanterie-Division, 50. Infanterie-Division, 52. Infanterie-Division, 57. Infanterie-Division, 68. Infanterie-Division, 73. Infanterie-Division, 78. Infanterie-Division, 79. Infanterie-Division, 101. Infanterie-Division, 125. Infanterie-Division, 129. Infanterie-Division, 131. Infanterie-Division, 167. Infanterie-Division, 197. Infanterie-Division, 198. Infanterie-Division, 256. Infanterie-Division, 258. Infanterie-Division, 260. Infanterie-Division, 262. Infanterie-Division, 267. Infanterie-Division, 269. Infanterie-Division, 291. Infanterie-Division, 294. Infanterie-Division, 296. Infanterie-Division, 707. Infanterie-Division, 2. SS-Infanterie-Brigade 2 (mot.), SS-Division Das Reich, SS-Division Wiking, 29. Infanterie-Division (mot.), 36. Infanterie-Division (mot.), 2. Panzer-Division, 5. Panzer-Division, 7. Panzer-Division, 8. Panzer-Division, 11. Panzer-Division, 12. Panzer-Division, 13. Panzer-Division, 16. Panzer-Division, 19. Panzer-Division, 20. Panzer-Division
Caractéristiques
- ISBN : 9781009282819
- Nombre de pages : 322
- Langue : Anglais
- Couverture : cartonnée sous jaquette
- Reliure : collée
- Dimensions : 18,5 x 26 cm
- Prix conseillé France à la date de parution : N/A
Historique de la page
- Mise à jour : 20/05/2023