Le troisième opus de la collection champs de bataille chez Perrin se penche sur la bataille emblématique de Verdun durant la Première Guerre mondiale. Symbole de la résistance française au cours de ce conflit, bien ancrée dans l’imaginaire populaire, bien peu cependant maîtrisent ses tenants et aboutissants. Loin de donner une impression de déjà lu, le livre de Michaël BOURLET invite ses lecteurs et tout amateur d’histoire militaire à redécouvrir, et souvent à réellement découvrir, cet affrontement épique…
Présentation
De façon classique, cet ouvrage présente d’abord les causes de la bataille de son déroulement, phase par phase, et enfin ses conséquences opérationnelles et stratégiques.
Michaël BOURLET, Verdun 1916 (Perrin, 2023), page 19.
Michaël BOURLET choisit une architecture assez classique, mais efficace. En introduction, il rappelle l’importance mémorielle de la bataille pour les deux camps en soulignant cependant immédiatement les faux-semblants qui lui collent à la peau. De suite, cela met le lecteur dans l’ambiance déjà aguiché par le sous-titre de l’ouvrage “la guerre de mouvement dans un mouchoir de poche” qui laisse à penser qu’il ne s’agit initialement pas d’une bataille d’attrition comme trop souvent pensé.
Ensuite, il rappelle le contexte et le cadre des intentions des deux camps. Côté allemand, le projet d’offensive apparait ainsi plus intelligent que ce que les traces mémorielles laissent dans l’inconscient collectif. En effet, Verdun et ses environs forment un saillant qui provient directement de l’offensive allemande de 1914 puis du coup d’arrêt issu de la bataille de la Marne (un peu donc comme celui de Koursk créé après la contre-offensive de Kharkov et la reprise de Belgorod au printemps 1943).
Une bataille du fort au fort, toujours d’actualité
Contrairement à ce que peut laisser penser l’image mémorielle laissée autour de la bataille, Verdun représente un affrontement particulièrement moderne et toujours d’actualité comme le montrent le conflit entre l’Iran et l’Irak ou la guerre en Ukraine à partir de 2022. Pour paraphraser Michel GOYA dans son article Attaquer la ligne paru dans DSI n°164, les conflits industriels, dès lors qu’ils durent, voient le mouvement se transformer en guerre de position. Chaque camp doit donc chercher des alternatives ou attaquer du fort au fort.
A défaut d’avoir un espace pour contourner une ligne de front solidement tenue, il y a donc une logique dans le projet allemand comme il peut y en avoir un dans celui russe contre Bakhmout en 2022/2023.
Si une partie des archives allemandes disparait malheureusement après la guerre, rendant plus difficile la compréhension de la genèse des intentions de l’attaquant, il apparait cependant que l’offensive cherche à recréer du mouvement et non à lancer la bataille d’attrition qu’elle devient par défaut.
A travers son récit, l’auteur donne une dimension finalement très moderne à cette bataille : discrétion dans la concentration des forces, puissance mais aussi précision du feu, importance de la logistique, recherche de la supériorité aérienne, profondeur et articulation des lignes de défense.
Leadership
Sans renier le rôle de Philippe PETAIN, Michaël BOURLET souligne également l’importance de plusieurs personnalités dans la conduite de la bataille et le succès français : LANGLE de CARY lors de l’assaut initial, de CASTELNEAU avant l’arrivée physique de PETAIN qui ne finalement reste que deux mois “mais a beaucoup fait”, NIVELLE et MANGIN qui parviennent à reconquérir le terrain. Une partie du drame des offensives de 1917 tient d’ailleurs dans les fausses leçons issues des contre-attaques françaises, sachant que les Allemands apprennent également entre-temps.
Il faut noter la figure finalement fugitive de JOFFRE qui parait finalement bien loin de cette bataille qui semble ne pas le concerner outre mesure, ou plutôt qui l’empêche de mettre à exécution ses propres plans. Le crépuscule du grand chef n’est alors pas loin.
Une bataille aux conséquences immédiates mais également mémorielles donc à long terme
Le match nul de Verdun à l’issue de dix mois de combats n’a pas vraiment de conséquence militaire immédiate. Aucun des camps ne prend l’ascendant sur l’autre à la différence par exemple de Koursk en 1943 où l’échec allemand à retrouver du mouvent après tenter de percer du fort au fort se transforme en plusieurs reculs significatifs sur l’ensemble du front d’Orel au Donbass au profit de l’Armée rouge qui peut commencer à reprendre la Biélorussie et l’Ukraine.
Verdun laisse surtout une trace dans la mémoire collective de chacun des deux belligérants et finit par devenir un lieu symbolique de la réconciliation franco-allemande.
Un format efficace, agréable à lire
Sur la forme, le livre correspond aux standards de la collection Champs de bataille. Son cahier central renferme huit cartes en couleurs bien lisibles et intéressantes à consulter en appui du texte (quel dommage de ne pas les avoir sous forme de feuillets à part !). Point de photos, mais une bibliographie détaillée, des notes en fin d’ouvrage et la liste des unités qui participent aux combat en annexes. Cette dernière se présente heureusement dans un format bien plus condensé (et raisonnable) que celui utilisé dans Kharkov 1942 qui fait lui très remplissage.
Comme de coutume, un petit carton, très utile marque-page contient d’un côté une chronologie des faits et de l’autre la légende de cartes insérées en milieu d’ouvrage.
Conclusion
Ce Verdun 1916 ne laisse donc pas indifférent. Loin d’être une description sans relief et un alignement fade de dates et de combats, il replace la bataille dans son contexte et aborde ce qui au final fait la différence tout au long de l’année 1916. Grâce à Michaël BOURLET, Verdun n’est plus synonyme de boucherie inutile et improbable, mais bien un affrontement réfléchi de part et d’autre qui ne dépareille pas des combats de cette époque en France. L’accumulation des petits détails qui permet de créer des dynamiques ou d’enrayer celles de l’adversaire tanspire au fil des pages. Présentée ainsi, Verdun, dans le contexte de la guerre en Ukraine notamment, apparait comme une bataille toujours possible dont le parallèle peut sembler intéressant avec la lutte pour Bakhmout (bien plus que l’analogie avec la bataille de Stalingrad).
Davantage que Kharkov 1942, Verdun 1916 réussit à tirer la quintessence du principe éditorial de la collection Champs de bataille et à proposer une œuvre réellement originale capable de passionner autant les lecteurs experts que les moins chevronnés.
Voir aussi…
- Présentation de l’éditeur
- Recension sur le blog Des étagères et de livres
- Nicolas PONTIC, 5 questions à… Michaël Bourlet [Ligne de Front n°102 (Caraktère, 2023)]
Sommaire
- Avant-propos
- Première partie : stratégies
- Un saillant sans intérêt stratégique ?
- Unité d’action dans le camp alllié
- Les intentions allemandes : obtenir un succès militaire pour négocier ?
- Etat des lieux avant la bataille
- Deuxième partie : Die Schlacht Um Verdun, une offensive allemande devenue une contre-offensive française
- Break on through sur la rive droite (février 1916)
- “Il était moins cinq !”, ou quand Verdun rime avec Pétain
- La bataille passe sur la rive gauche de la Meuse
- Les Allemands tentent de relancer l’offensive
- La reconquête française (juillet-décembre 1916)
- Echos et ondes de choc
- Les suites immédiates
- Mémoires
- Notes
- Annexes
- Sources et bibliographie
- Index Remerciements
Thèmes abordés
- Périodes : Première Guerre mondiale 1914/1918
- Fronts : Ouest 1914/1918, France 1914/1918
- Batailles : Verdun 1916
- Biographies :
Caractéristiques
- ISBN : 9782262094454
- Nombre de pages : 382
- Langue : Français
- Reliure : souple, collée
- Dimensions : 15,5 x 21,5 cm
- Prix conseillé France à la date de parution : 25 € TTC

Historique de la page
- 01/05/2023 : mise à jour (voir aussi…)
- 16/04/2023 : création