Les tirailleurs sénégalais, de l’indigène au soldat, de 1857 à nos jours (Perrin, 2022)

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Présentation

La bibliographie traite souvent de l’engagement des tirailleurs sénégalais à travers les massacres dont ils sont victimes (Massacrés ! Le triste sort des soldats africains et indochinois en Picardie et Normandie , Juin 1940, combats et massacres en Lyonnais, Une saison noire, les massacres de tirailleurs sénégalais mai-juin 1940). Quelques uns abordent la question du racisme systémiques dont ils font l’objet de la part des Allemands. Mais peu de livres remontent aux origines de l’histoire de ces hommes qui forment l’ossature et l’image symbolique des troupes coloniales. Anthony GUYON relève ici le défi !

Aux sources de l’aventure coloniale française

Vouloir rédiger une histoire globale des tirailleurs sénégalais signifie plonger dans les méandres de l’aventure coloniale française, un exercice particulièrement délicat tant le sujet porte à polémique. Le premier écueil qu’évite l’auteur est de porter un jugement laissant libre le lecteur de se faire sa propre opinion. Son récit montre cependant qu’il existe de nombreuses nuances au sein même de la société française, politique, civile et militaire. Mais difficile de porter un jugement sur des attitudes du XIXème siècle avec les yeux du XIXème en oubliant le formidable essor des connaissances, notamment scientifiques, qui permet de détricoter des croyances basées sur des observations sans posséder d’explication rationnelle.

A travers l’emploi extensif de troupes issues de colonies sur le sol européen, il apparait également un fossé entre l’approche coloniale française et celles des autres puissances similaires à l’instar de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne. Pour ces derniers deux pays, l’utilisation de militaires d’origine africaine et de couleur “noire” porte en elle-même un risque.

L’arrivée de troupes noires en Europe au cours de la Grande Guerre est ainsi dénoncée par les Allemands comme une trahison envers l’ensemble de la “race européenne”. (…) Ce recours aux soldats noirs est érigé par l’Allemagne en preuve de la dégénérescence du peuple français, qui remet son destin entre les mains d’hommes jugés inférieurs.

Anthony GUYON, Les tirailleurs sénégalais, de l’indigène au soldat, de 1857 à nos jours [Perrin, 2022], pages 172 et 173.

On imagine fort bien que le recrutement d’unités autochtones puis leur transfert sur le sol métropolitain doit provoquer de nombreux débats dans la société civile et militaire, d’autant que les échanges à large échelle n’en sont qu’à leurs balbutiements comparés aux flux actuels.

De 1865 à 1869 et après ses études en médecine, Georges Clémenceau est resté aux Etats-Unis comme correspondant du journal Le Temps (…). Il y a acquis la conviction qu’aucune supériorité raciale ou civilisationnelle n’existait.

Anthony GUYON, Les tirailleurs sénégalais, de l’indigène au soldat, de 1857 à nos jours [Perrin, 2022], page 174.

Sans toutefois bénéficier de sources écrites et fiables, Anthony GUYON souligne cependant la relative acceptation des populations locales, même si comme partout, l’envoi ou pas de certains hommes peut résulter de certaines luttes d’influence dans les villages. Un subtile équilibre se met en place entre la Métropole et les colonies dans un rapport qui est loin d’être binaire. Apparaissent également après la Première Guerre mondiale les premières unions mixtes qui ne manquent pas non plus de provoquer quelques remous.

Aux origines des troupes coloniales

Si comme toute puissance coloniale, la France imagine d’abord d’utiliser des supplétifs locaux pour compenser son manque d’effectifs métropolitains soumis à de grosses difficultés d’adaptation, elle va rapidement plus loin à la différence des autres.

Anthony GUYON montre que cette tendance repose sur l’engagement de quelques officiers supérieurs comme Charles MANGIN, resté célèbre pour son ouvrage La force noire, Joseph GALLIENI ou encore Hubert LYAUTEY. Mais pas seulement. Il semble qu’un vaste mouvement d’opinion parmi les officiers français vont dans ce sens.

Si Charles Mangin a longtemps été identifié comme le “père de la Force noire”, certains historiens défendent davantage l’idée d’un dialogue entre les officiers opérant dans les territoires impériaux. Pensée au départ pour les possessions asiatiques et non africaines, l’idée de recourir à des troupes autochtones naît de la situation militaire en Asie et se construit davantage en réaction au péril japonais qu’au danger allemand.

Anthony GUYON, Les tirailleurs sénégalais, de l’indigène au soldat, de 1857 à nos jours [Perrin, 2022], page 80.

Mais avant de connaître l’épreuve du feu sur le sol européen durant la Grande Guerre, les premiers tirailleurs sénégalais participent aux aventures coloniales et aux conflits en découlant comme au Maroc.

Un engagement sous contrainte

La décision d’employer en Europe des troupes issues des colonies n’est pas qu’une question intellectuelle. Elle implique également la question du transfert de plusieurs dizaines de milliers d’hommes d’un continent à un autre et leur acclimatation, tant d’un point de vue climatique que militaire, la guerre qui s’y déroule étant bien éloignée des opérations menées dans les colonies.

Cette question d’acclimatation entraine l’hivernage des unités qui doivent rejoindre des camps dans le Sud et le Sud-Ouest de la France durant la plus mauvaise saison. Cette contrainte cumulée avec la barrière de la langue complexifie la construction de la cohésion. Le sujet refait surface d’ailleurs avec la 1ère Armée quand celle-ci progresse dans les Vosges et en Alsace en 1944/1945. Mais une véritable expertise, une réelle “French Touch”, commence à prendre en forme.

Sur tous les fronts

Aborder ainsi l’intégralité du parcours des tirailleurs sénégalais permet de réaliser l’ampleur de leurs engagements. Ils sont présents un peu partout de 1914 à 1918 (y compris lors de la reconquête de Douaumont) comme en 1940 (voir Paul GAUJAC, Les troupes coloniales dans la campagne de France [Histoire & Collections, 2010]).

La questions des massacres de 1940 n’occupe que quelques pages, mais elle déjà assez bien documentée dans d’autres livres (voir Thierry CHION, Massacrés ! Le triste sort des soldats africains et indochinois en Picardie et Normandie [Les Choucas, 2020], Julien FARGETTAS, Juin 1940, combats et massacres en Lyonnais [Editions du Poutan, 2020] et Raffael SCHECK, Une saison noire, les massacres de tirailleurs sénégalais, mai-juin 1940 [Tallandier, 2007]).

Le rôle des tirailleurs sénégalais dans l’Armée d’Afrique, dans les combats de Bir-Hakeim ou de la Libération est également majeur. Pourtant, là aussi, la France se distingue par l’emploi d’unités issues de ses colonies, sous le regard désapprobateur de ses proches alliés.

Les Britanniques ont refusé qu’ils participent à l’opération “Overlord”, les Américains les ont rejetés, et les Français, politiques, civils et militaires, les ont rapidement oubliés.

Anthony GUYON, Les tirailleurs sénégalais, de l’indigène au soldat, de 1857 à nos jours [Perrin, 2022], page 256.

L’auteur souligne un certain recul à la Libération de 1944/1945 par rapport à l’intégration entre “Blancs” et “Noirs” de la Grande Guerre à 1940 avec un fossé qui se creuse “jusque dans la mort”. Plusieurs vagues de “blanchiment” s’opèrent, aussi bien au sein de ce qui devient la 2ème Division Blindée (DB) que dans la 1ère Armée. Le massacre de Thiaroye près de Dakar le 1er décembre 1944 symbolise cette distance qui s’établit irrémédiablement.

Conclusion

Les dernières pages du livre abordent la fin des tirailleurs sénégalais avec la décolonisation et la trace mémorielle.

Ce parcours historique d’un siècle d’engagement pour la France mérite d’être connu dans sa globalité et non pas par quelques bouts, comme les massacres de 1940. Étonnamment, les hommes à l’origine des tirailleurs sénégalais, à leur côté en 1914/1918 et en 1940 semblent bien plus ouverts et solidaires avec ces hommes venus des colonies (malgré des préjugés qui peuvent faire bondir aujourd’hui) que ceux de la reconquête en 1944/1945. Dans le travail de réhabilitation mené sur l’engagement des unités issues du passé colonial français, il convient de ne pas oublier non plus l’attitude finalement bien plus accueillante et tolérante des Français de la fin du XIXème siècle et jusqu’en 1940 que leurs contemporains des autres pays occidentaux, voire même des Français libres de la Libération (voir Claire MIOT, La Première Armée française [Perrin, 2021].

L’ampleur de l’engagement des troupes coloniales françaises sur le sol européen, tout comme la systématisation des massacres commis par les Allemands en 1940 ne peuvent se comprendre qu’en abordant l’intégralité de l’histoire des tirailleurs sénégalais. Ce récit est également celui de la France, précurseur dans de nombreux domaines. Il explique également la tradition d’accueil des armées françaises qui transpire plus particulièrement à travers ses Troupes de marine et sa Légion étrangère, mais pas seulement. Il illustre également le lien si singulier entre la Métropole française et ses colonies, bien différent des autres autres anciennes puissances coloniales.

“Que le kaléidoscope présenté ici, loin de toute exhaustivité, contribue à ne plus jamais réduire les année de service des tirailleurs sénégalais au triptyque “Banania, chéchia, coupe-coupe”” : objectif atteint !

Voir aussi…

  • Présentation de l’éditeur

Thèmes abordés

Sommaire détaillé

  • Introduction, retrouver les tirailleurs sénégalais
  • La genèse des tirailleurs sénégalais
  • De Fachoda au Maroc, l’affirmation
  • Des tirailleurs sénégalais en Europe, la Grande Guerre (1914-1918)
  • De l’Afrique à la Rhénanie, une paix “illusoire”
  • Mi-soldat, “mi-indigène”
  • Des massacres de 1940 aux Français libres
  • Le crépuscule (1945-2021)
  • Conclusion
  • Notes
  • Bibliographie
  • Index
  • Remerciements

Caractéristiques

  • ISBN : 9782262085941
  • Nombre de pages : 384
  • Langue : Français
  • Couverture : souple
  • Reliure : collée
  • Dimensions : 14 x 21 cm
  • Prix conseillé France à la date de parution : 22 € TTC

Historique de la page

  • 08/01/2023 : mise à jour (présentation)
  • 06/12/2022 : création

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