Spécialiste du conflit entre le Troisième Reich et l’URSS, et plus particulièrement de l’opération Barbarossa, David STAHEL propose dans ce livre une analyse originale de quatre des généraux de la Panzerwaffe alors parmi les plus en vue. Pour cela, il exploite les lettres qu’ils adressent à leurs épouses et même celles rédigées par la femme de Heinz GUDERIAN. Une vision sans fard et non réécrite après-guerre pour les besoins de la cause !
Présentation
Forme
Composé d’un peu plus de trois cent pages, le livre se présente avant tout comme un ouvrage rédigé, assez académique. Seules quelques photos parsèment le texte. Les notes, annexes, index ne représentent qu’une soixantaine de pages, laissant donc une large place au contenu en lui-même.
La couverture, simple, visuelle, propose les portraits photos des quatre généraux dont il est question aux quatre coins de ce qui représente une Balkenkreuz ou plutôt une Croix de Chevalier de la Croix de fer comme celles qui pendent au cou de chacun des impétrants.
“Unguarded” ou plutôt sans filtre
A la différence de son ouvrage coécrit avec Craig LUTHER en 2020, Soldiers of Barbarossa, David STAHEL ne propose pas une succession chronologique de textes écrits à l’époque par les généraux étudiés. En effet, il choisit ici une approche thématique en quatre axes :
- La sphère privée
- La représentation publique
- La participation aux crimes de guerre du Troisième Reich
- Le rôle militaire
Alors que l’historiographie traditionnelle prend souvent appui sur les écrits d’après-guerre de ceux qui survivent au conflit, l’auteur dispose ici d’une matière brute, non retravaillée pour donner une image policée, à l’image bien connue d’un Heinz GUDERIAN dans ses mémoires. A sa décharge, il n’est pas le seul, y compris dans le camp allié. Le problème réside plutôt dans la multitude d’auteurs qui reprennent consciencieusement les écrits sans prendre réellement la peine de mettre un peu de distance. Ces témoignages, qui peuvent paraître comme une matière inestimable (et ils le sont dans la grande majorité des cas, à la fois pour ce qu’ils choisissent de dévoiler et ce qu’ils refoulent), doivent désormais être pris avec certaines précautions. Sans être toutefois jetés au bûcher car ils contiennent de multiples détails qu ne seraient ainsi pas parvenus jusqu’à nous.
Choix pertinent
Bien entendu, le choix des quatre généraux étudiés dépend prioritairement de l’existence et de l’accès à leur correspondance privée sur les premiers mois de l’opération Barbarossa. Le hasard fait ici plutôt bien les choses car les profils sont plutôt variés, notamment en termes de responsabilités :
- Heinz GUDERIAN (en charge de la Panzergruppe 2)
- Erich HOEPNER (en charge de la Panzergruppe 4)
- Rudolf SCHMIDT (en charge du XXXIX. Armee-Korps (mot.), puis de la 2. Armee avant de succéder à Heinz GUDERIAN à la tête de la 2. Panzer-Armee)
- Georg-Hans REINHARDT (en charge du XXXXI. Armee-Korps (mot.) avant de succéder à Hermann HOTH à la tête de la Panzergruppe 3)
La pertinence de l’échantillon se mesure également au regard de leurs convictions politiques, de leurs destinées et de ce qu’ils ont éventuellement faire valoir après guerre. A noter que le livre s’appuie également sur d’autres courriers de généraux et maréchaux allemands pour conforter des impressions ou au contraire souligner des différences.
Deux d’entre eux connaissent des déboires certains avec le régime. Rudolf SCHMIDT paye le fait d’être le frère d’un officier moins brillant que lui, mais qui se révèle être un ancien agent français démasqué en 1943. Quand il est arrêté, on trouve des échanges de courriers plutôt critiques sur le régime. C’est rédhibitoire pour le général qui voit sa carrière militaire brisée nette, ce qui ne l’empêchera pas de faire un très long séjour dans les geôles soviétiques d’où il reviendra avec les derniers soldats allemands sans réellement avoir le temps de profiter de sa liberté retrouvée.
Erich HOEPNER, saqué dès début 1942, se retrouve parmi les conjurés de l’attentat du 20 juillet 1944 contre Adolf HITLER. Découvert, il est condamné à mort et pendu.
Quant à Georg-Hans REINHARDT, il tient des commandements jusqu’en début 1945 avant d’être finalement limogé. Il fait partie des généraux jugés après-guerre pour crimes de guerre et est condamné à de la prison avant d’être réhabilité par la République Fédérale d’Allemagne (RFA) qui le décore.
Such an analysis of the letters reveals how potentially problematic they are when used as the only source for the purpose of the reconstructing operational history.
David STAHEL, Hitler’s Panzer Generals, Guderian, Hoepner, Reinhardt and Schmidt Unguarded [Cambridge, 2023], page 209.
Heinz GUDERIAN représente assurément le personnage le plus connu des quatre. Sa percée des Ardennes et la prise de Sedan en 1940 en font un “monstre” surtout que la possibilité de rédiger ses mémoires après le conflit lui permet de valoriser son rôle dans la constitution de la Panzerwaffe et de gommer ce qui pourrait lui être reproché. Il bénéficie de conditions ultra favorables pour défendre son image et imposer celle qu’il souhaite que le public est de lui. Ses principaux opposants ont disparu ou ne prennent pas la plume. Son éclipse au milieu de la guerre lui évite d’être trop associé au retournement de situation. Et enfin, l’Allemagne d’après-guerre a trop besoin de profils comme le sien pour reconstruire son armée en laissant penser que la Wehrmacht et les soldats de métier n’ont rien à voir avec les crimes nazis du Troisième Reich. Il participe activement à l’image d’une armée allemande propre, totalement étrangère aux bassesses du régime et surtout victime d’Adolf HITLER, seul grand responsable des désastres militaires (voir La Wehrmacht, la fin d’un mythe).
Bref, cet aéropage, certes réduit, n’en représente pas moins un échantillons digne d’intérêt.
Des hommes communs ?
Dans la première partie réservée à la vie privée, les quatre généraux se révèlent finalement, mais sans surprise, être très humains. Ils s’intéressent à leurs enfants, certains de leurs garçons sont d’ailleurs au front. Cela dit, la façon dont ils en parlent ou s’inquiètent est assez significative. Certes leur progéniture se doit d’être exemplaire, mais la justesse de la cause pour laquelle elle se bat ne semble pas remise en cause.
Ils commencent également à avoir un certain âge, un peu plus de la cinquantaine, et les conditions climatiques plus la tension inhérente à la charge qu’ils assument peut être un sujet d’échange avec leurs épouses. Certaines baisses de moral peuvent également transparaître. La guerre les consume…
Peut-être plus anecdotique, David STAHEL compare également l’émotion mise dans les courriers aux épouses, leur longueur et leur fréquence. Heinz GUDERIAN parait de ce point de vue là le plus romantique et Rudolf SCHMIDT le plus froid.
Plus les difficultés s’accumulent, plus le stress transparait. Les quelques promotions et décorations peuvent un moment redonner un coup de fouet, surtout qu’ils partagent tous leur désir de reconnaissance publique, toute citation pouvant flatter leur ego ou au contraire les faire bisquer. Les certitudes s’effritent, les doutes s’expriment. Et les bisbilles humaines sont toujours bien présentes, y compris dans un moment aussi tragique que la guerre.
Sujets absents
Le massacres des Juifs et les destructions ne sont pas abordés dans les correspondances. Seules les souffrances de leurs soldats méritent d’être mentionnées. Le chapitre concernant la part de responsabilité des généraux dans les crimes de guerre s’appuie donc davantage sur les ordres donnés ou retransmis, les ordres du jour et les rapports établis dans leurs périmètres de commandement (nombre de commissaires politiques soviétiques par exemple). Aucun ne semble s’être opposé aux directives.
Peu avant le déclenchement de l’opération Barbarossa, seul Georg-Hans REINHARDT semble habité par le doute. Les quatre admettent cependant assez vite la sous-estimation de l’ennemi, de la géographie, des espaces…
Conclusion
A la différence de Soldiers of Barbarossa, Daid STAHEL fournit ici un livre beaucoup plus analytique qui, sans révéler de choses réellement inédites, permet de tracer un portrait assez acéré des quatre personnages centraux.
Ne remettant pas en cause le régime proprement dit, ni même l’invasion de l’URSS, ils mettent du temps à reconnaître l’impasse dans laquelle ils plongent. Et encore, ils ont du mal à cerner les raisons de leurs malheurs. Les biais cognitifs, notamment leur perception sur la place de l’Allemagne, la supériorité de leur cause, les influencent significativement. Les relations sont imprégnées d’ambition, de besoin de reconnaissance, de sourdes rivalités personnelles.
En détaillant le cas d’Erich HOEPNER, l’auteur dans sa conclusion souligne la frustration d’une ambition inassouvie qui le fait basculer dans la résistance. Comme beaucoup, les doutes sur la victoire finale et la disgrâce fournissent les ressorts à la rébellion. Mais pas la nature même du régime. La reconnaissance, le succès et la primauté sur les autres passent avant tout.
Il serait cependant bien naïf que les traits de caractère ainsi affichés restent du seul apanage des généraux du Troisième Reich. Bien des vanités décrites ici animent depuis toujours et pour longtemps encore les cercles du pouvoir, du plus petit au plus grand, quelle que soit la sphère (politique, militaire, administrative, économique).
Voir aussi…
Sommaire


Thèmes abordés
- Périodes : Seconde Guerre mondiale 1939/1945
- Fronts : URSS 1941/1945
- Batailles : Opération Barbarossa 1941
- Biographies : Heinz GUDERIAN, Erich HOEPNER, Georg-Hans REINHARDT, Rudolf SCHMIDT
- Unités : Arme blindée allemande (Panzerwaffe), Panzergruppe 2, Panzergruppe 3, 2. Armee, XXXIX. Armee-Korps (mot.), XXXXI. Armee-Korps (mot.)
Caractéristiques
- ISBN : 9781009282819
- Nombre de pages : 322
- Langue : Anglais
- Couverture : cartonnée sous jaquette
- Reliure : collée
- Dimensions : 16 x 23,5 cm
- Prix conseillé France à la date de parution : N/A
Historique de la page
- Mise à jour : 19/05/2023