Plus de vingt ans après son premier opus sur la bataille de Villers-Bocage paru chez After the Battle, Daniel TAYLOR revient sur ce sujet dans un nouveau format, toujours sous le même label racheté cependant en 2023 par Pen & Sword. Ultra connu et médiatisé, cet affrontement bénéficie d’une relecture bienvenue qui permet de faire le point sur les dernières avancées historiographiques…
Présentation
Du mythe à l’analyse plus poussée
En effet, l’intervention héroïsée de Michael WITTMANN exploitée à fond par la propagande allemande de l’époque domine le récit de la bataille durant de nombreuses décennies après-guerre. Il faut les travaux notamment de Daniel TAYLOR pour aider à prendre un peu de recul et avoir une vision plus objective. Car Villers-Bocage, c’est un peu le Koursk de la propagande soviétique. Entre les impressions qui s’en dégagent et la réalité, il y a quelque peu un fossé. On s’en rend particulièrement compte en comparant Les Panzers en Normandie d’Eric LEFEVRE paru en 1978 et précurseur en son temps avec ce livre paru en 2023.
Villers-Bocage reste d’abord une bataille de rencontre entre le large contournement de Tilly-sur-Seulles entamés par les Britanniques avec l’opération Perch et l’arrivée des renforts allemands qui continuent d’affluer sur le front normand une semaine après le succès du Débarquement.
Après avoir rappelé pourquoi cette bataille est si importante, comment se sont construites les distorsions de perception et l’origine de l’opération Perch, Daniel TAYLOR entame le récit détaillé par demi-journée des évènements à partir du petit matin du 13 juin 1944 et se poursuit avec la journée du lendemain. Côté allemand, il n’y a pas que le seul Tiger de Michael WITTMANN qui intervient, mais également d’autres engins de la de la schwere SS-Panzer-Abteilung 101 mais aussi des éléments de la 2. Panzer-Division et de la 130. Panzer-Lehr-Division. Bref, il s’agit d’une bataille qui dépasse très largement le seul cadre de la colonne de la 7th Armoured Division martyrisée par la charge de l’as allemand.
Victoire, défaite ou match nul ?
Si les Allemands portent un coup d’arrêt évident à la tentative britannique, ils échouent cependant à provoquer une plus grave défaite à leur adversaire alors particulièrement exposé dans un mouvement de contournement étonnamment hardi pour le plutôt prudent MONTGOMERY. Un match plutôt nul où les deux protagonistes peuvent nourrir des regrets et perdent chacun des opportunités. D’un côté, le front britannique se fige un peu plus, de l’autre, l’espoir de repousser les Alliés à la mer aussi. Tout comme au moment de l’opération Epsom, les précieux renforts servent non pas à mener la charge contre la tête de pont, mais à bloquer une tentative alliée.
Deux chapitres sont particulièrement intéressants car ils concernent, non pas les combats eux-mêmes, mais l’exploitation des clichés pris à l’époque (et ils sont nombreux) et les raisons de la légende WITTMANN. Une belle analyse de la naissance et de l’exploitation a posteriori d’un mythe.
Superbe présentation
On appréciera également la galerie de portraits brossés des principaux acteurs en fin d’ouvrage. Les dessins réalisés à la main par l’auteur lui-même sont d’excellente facture et donne un relief que n’atteignent pas les illustrations numériques. Enfin, des organigrammes véhicule par véhicule apportent une compréhension visuelle de la composition des principales unités impliquées.
Sur la forme, le large format, la qualité du papier et le choix de présenter les clichés d’époque en grande taille permettent d’apprécier les illustrations, même si certaines offrent une résolution médiocre. Les photos aériennes d’époque apportent également une aide précieuse pour imaginer le terrain tel qu’il était. Si des profils couleurs n’auraient pas apporté grand chose compte tenu du nombre déjà disponibles sur le marché, quelques illustrations peintes à la main auraient égayé l’intérieur et donné un peu de couleurs.
On notera également quelques auteurs français en bonne place dans la bibliographie (Frédéric DEPRUN, Yann JOUAULT, Henri MARIE, Eric LEFEVRE, Ludovic FORTIN pour leurs travaux. Bien d’autres auteurs et articles auraient mérité également leur place (on pense notamment à ceux publiés sur le sujet dans Ligne de Front et Batailles & Blindés).
Conclusion
Très bien construit et architecturé, ce livre fournit un excellent exemple de trame d’analyse qui sied tout particulièrement à Villers-Bocage. Il ne se résume pas à une simple analyse des combats, mais cherche aussi à comprendre ce qui s’est réellement passé dans une vision assez dynamique du champ de bataille. Les chapitres concernant l’exploitation des clichés et films d’époque comparés aux archives apportent d’utiles compléments permettant d’expliquer aux lecteurs du moment comme l’historiographie se construit, se travaille et évolue dans le temps, ce qui en fait un sujet passionnant, jamais tout à fait fini à condition de respecter quelques fondamentaux.
Si les lecteurs francophones bénéficient des excellents livres d’Henri MARIE (2003) et du binôme formé Frédéric DEPRUN & Yann JOUAULT (2016), le livre de Daniel TAYLOR fournit aux anglophones d’une référence tant sur le fond que sur la forme.
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- Création : 15/10/2023