Dans le cadre d’un dossier consacré à la chute de Königsberg et plus globalement de la Prusse orientale en 1945, Laurent TIRONE propose dans Batailles & Blindés n°107 un article de dix-huit pages sur les opérations militaires menées à partir du 12 janvier 1945 dans ce secteur. Avec en sous-titre “une bataille politique… et sanglante”…
Un sujet mal connu comme à peu près toutes les grandes batailles du début 1945
La Prusse orientale, un symbole pour les deux camps
En effet, après le succès de ses offensives en 1944, dont l’opération Bagration n’est que l’une des facettes, l’Armée rouge se retrouve aux portes du Troisième Reich en Prusse orientale et plus globalement repousse la Wehrmacht au-delà des bases de départ qu’elle occupait au déclenchement de l’opération Barbarossa. Comme à l’Ouest à l’automne 1944, les Allemands parviennent à stabiliser une situation militaire pourtant plus que compromise et arrachent la possibilité de retarder de quelques mois encore la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Des deux côtés du Troisième Reich, les Alliés doivent reprendre leur souffle et préparer leurs prochaines offensives.
Stratégiquement, la Wehrmacht fait le choix de concentrer ses contre-attaques à l’Ouest (Ardennes, Bodenplatte, Nordwind) et de conserver une posture purement défensive face à l’Armée rouge. Mais le manque de performance d’une armée allemande épuisée et exsangue conjuguée à une parfaite maîtrise défensive alliée aboutit à un échec qui laisse la Wehrmacht dans l’impasse à l’Ouest et totalement exposée à l’Est faute de pouvoir y basculer ses forces.
Le 12 janvier 1945, l’Armée rouge déclenche son opération dite Vistule-Oder. Cette offensive ne concerne pas uniquement les têtes de pont sur la Vistule. Dans les deux jours qui suivent, le front défensif de la Prusse orientale s’enflamme également. C’est le début de l’acte II des combats pour le berceau historique de la Prusse, le premier s’étant achevé par une victoire défensive allemande à l’automne 1944.
Un ordre de bataille allemand amoindri, mais…
Brièvement, Laurent TIRONE pose le décor du champ de bataille qui forme un saillant au Nord du dispositif russe sur la Vistule. Un abcès qui peut justifier également le maintien de la tête de pont allemande en Courlande.
Délaissé au profit de la reconstitution des armées allemandes à l’Ouest, le front Est amalgame des unités éreintées et renforcées par quelques expédients. A défaut de renforcements significatifs, les 4. Armee et 3. Panzer-Armee qui assurent la défense de la Prusse orientale bénéficient de plusieurs mois pour parfaire leurs retranchements de campagne. Le corps de bataille principal repose sur des divisions d’infanterie généralement assez diminuées avec quelques grandes unités blindées en réserve. Les Fallschirm-Panzer-Korps Hermann Göring et Panzer-Korps Grossdeutschland ainsi que les 5. Panzer-Division, 7. Panzer-Division et schwere Panzer-Abteilung 507 représentent une puissance de feu encore appréciable. A condition de ne pas devoir intervenir partout et en même temps.
Or, la succession rapide des attaques déclenchées par l’Armée rouge ne permettent pas à ces forces d’alerte de boucher les trous aussi rapidement qu’ils se forment. Les articles complémentaires au dossier que sont l’extrait du livre de Lawrence PATERSON sur le Fallschirm-Panzer-Korps Hermann Göring et le témoignage d’un vétéran du Panzer-Korps Grossdeutchland apportent une vision complémentaire de la pression qui s’exerce sur le dispositif allemand avec des témoignages issus du terrain.
Un maelström infernal
A rebours de la recherche d’un unique point d’effort, la force de l’Armée rouge repose culturellement sur sa capacité à déclencher des attaques successives en des points différents du front qui empêchent son adversaire de faire basculer ses réserves sur un point menacé.
Ainsi, l’opération Vistule-Oder démarre le 12 janvier 1945. Le lendemain, 13 janvier 1945, le Troisième Front de Biélorussie attaque les positions de la 4. Armee. Le 14 janvier 1945, le Second Front de Biélorussie entre à son tour dans la danse en assaillant les lignes de la 3. Panzer-Armee. Les grandes unités allemandes en Prusse Orientale ne pourront donc pas être employées pour contre-attaquer les points soviétiques qui s’enfoncent vers l’Oder.
Tôt ou tard, ce qui doit arriver se produit. Malgré une résistance acharnée et les pertes occasionnées aux Soviétiques, les lignes allemandes finissent par se rompre. La multitude des dangers empêchent les réserve d’intervenir d’étendre partout les incendies.
Les combats pour Königsberg ne représentent finalement qu’une part assez infime de l’article dont l’objet est davantage la description générale des combats pour la conquête de la Prusse orientale. Alors que le Troisième Reich s’effondre sous les coups de boutoir alliés, les combats s’éternisent autour de poches appuyées sur la Baltique et soutenues par la Kriegsmarine. Les opérations se fragmentent entre Heiligenbeil et Königsberg. Pillau succombe quelques jours seulement avant la capitulation allemande tandis quelques dizaines de milliers d’hommes se retranchent sur la Frisches Nehrung jusqu’à la fin de la guerre.
Un sujet qui peut être encore approfondi
Une approche essentiellement opérationnelle
La conquête de la Prusse orientale et la capacité de résistance allemande interpellent. En effet, deux armées pourtant totalement isolées et coupées de leurs bases industrielles et logistiques conservent une capacité de combat plusieurs semaines durant alors même que l’intensité des opérations est particulièrement élevée. La capacité de manœuvre et de contrôle de l’armée allemande en dépit des circonstances impressionnent.
Au-delà du récit opérationnels, le drame des civils et l’attitude de l’Armée rouge méritent également de plus amples développements. Dans toutes les guerres, ces questions demeurent loin d’être accessoires et peuvent peser directement ou indirectement sur la bataille et la gestion de l’après.
Iconographie et infographie
Alors que le récit se veut très opérationnel et que la géographie tient une part importante dans la compréhension des enjeux et des combats, la seule carte proposée est celle de la chute de Königsberg qui finalement ne représente qu’une petite partie du texte. Insuffisant pour permettre la compréhension géographique, pourtant indispensable, du sujet.
En plus des habituels profils couleurs, des vues 3D d’un Befehlspanzer V Ausf. G et d’un ISU-122 sont proposées. Malheureusement pour ce dernier, les trois représentations le montrent sur son côté gauche et sont donc assez similaires. Des vues intérieures ou en écorché auraient été plus intéressantes.
Ordre de bataille
Comme souvent, l’ordre de bataille se contente de lister, dans le texte, les armées et quelques grandes unités, mais sans véritablement entrer dans le détail qualitatif ni les unités de soutien attachées aux grands commandements. En dépit des apparences, le nombre de divisions et de chars ne permettent pas de valoriser seul l’état des forces qui s’opposent. Il faudrait même y ajouter les stocks de munitions et d’essence.
Conclusion
Laurent TIRONE maîtrise assurément son sujet et son style. Les dix-huit pages de son article brossent un panorama assez complet des combats pour la Prusse orientale de janvier à fin avril 1945 et parvient à en transcrire toute l’intensité. L’idée des trois articles pour un même dossier parait intéressante mais aurait pu être davantage optimisée pour faciliter la fluidité de lecture et la compréhension globales des opérations.
Ainsi, les extraits du livre du Lawrence PATERSON auraient pu être disséminés dans l’article de Laurent TIRONE dans des encarts spécifiques. Cela aurait en outre eu l’avantage de gommer la désagréable impression de payer le même texte plusieurs fois quand le lecteur se procure également le livre.
Il aurait été également possible de parler davantage des fortifications mises en place par les Allemands et surtout les options retenues pour lutter contre les masses blindées soviétiques. De quoi profiter de l’occasion pour rappeler la sortie du livre de Loïc CHARPENTIER sur l’artillerie antichar allemande… Sans parler également des particularités de l’Armée rouge, occasion pourquoi pas de faire le lien avec les deux volumes proposés par Nicolas PONTIC. Il y a donc de quoi mélanger astucieusement promotionnel et optimisation de l’espace éditorial.
L’introduction d’une dimension plus analytique en complément du récit opérationnel permettrait également de tisser plus facilement des liens éditoriaux avec des affrontements similaires comme ceux qui se déroulent lors de la guerre déclenché par la Russie en Ukraine en 2022.