Kharkov 1942 (Perrin, 2022)

Avec ce livre, Jean LOPEZ inaugure la nouvelle collection Champs de bataille aux Editions Perrin (à ne pas confondre avec le feu magazine au même titre). Avec elle, il ambitionne de « dépasser l’histoire-bataille classique » ! Aborder la question des combats autour de Kharkiv (Kharkov à l’époque) au printemps 1942 est assurément un bon test pour vérifier s’il atteint son objectif…

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Recension

Un moment charnière entre deux phases du conflit germano-soviétique

En effet, ces combats se déroulent au sortir de l’hiver 1941/1942. L’Armée rouge a tenu le coup face au choc de l’opération Barbarossa et les pertes abyssales qu’elle subit depuis le 22 juin 1941. Mieux, elle a, pour la première fois depuis le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, forcé la Wehrmacht à se replier significativement. Mieux, elle ébranle tout la mécanique guerrière du Troisième Reich qui a fait ses premiers succès : capacité industrielle, mobilisation humaine, systèmes d’armes utilisés, structure de commandement… L’armée allemande ne s’en remettra jamais.

Pourtant, en mai 1942, l’Armée rouge souffre encore. Cette bataille représente pour beaucoup le symbole d’une armée mal dégrossie face à une horlogerie de précision. Une représentation alimentée par des décennies d’historiographie influencée par de nombreux facteurs que la guerre froide favorise. L’élite allemande cherche à trouver des excuses à sa défaite (Adolf HITLER, le réservoir humain de l’URSS, la puissance industrielle alliée, etc.) que les Alliés utilisent pour justifier le choix de la supériorité technologique face au nombre en déniant à l’adversaire la moindre finesse. Les propagandistes soviétiques n’aident pas non plus à pondérer cette vision en raison de la subjectivité et de l’énormité de leurs propos.

Historiographie renouvelée

Il faut lire Paul CARELL sur cette bataille pour comprendre cette influence qui est reprise durant des lustres par des auteurs qui reproduisent consciencieusement ses écrits.

David GLANTZ profite de l’ouverture des archives soviétiques pour mettre à disposition des textes brutes de l’Armée rouge. Les historiens ont désormais ainsi un niveau d’information qui se rapproche de ce qu’il est possible de trouver dans les archives allemandes, unités et commandements inclus, en plus des analyses fournies par l’état-major qui s’apparentent à celles effectuées par les services historiques de l’armée américaine pour leurs propres campagnes, mais en plus analytique.

De cette matière, sources allemandes et soviétiques complétées de témoignages de vétérans, Jean LOPEZ en fait une synthèse claire et vivante. Claire, parce qu’il parvient à expliciter distinctement les différentes phases et localisations de la bataille sans inonder de détails le lecteur. Les quelques éléments tactiques ou matériels uniquement qui influent sur le cours de l’ensemble sont évoqués, les mettant ainsi en valeur. L’analyse est cependant bien plus fouillée que les quelques pages consacrées aux événements dans l’ouvrage du même auteur, Stalingrad, la bataille au bord du gouffre. Le propos semble aussi plus limpide que certains passages de ses ouvrages concernant les grandes batailles de la guerre germano-soviétique (Stalingrad, Korsun-Tcherkassy, Bagration, Berlin)

Contrairement aux travaux de David GLANTZ, l’ensemble se digère plutôt bien. Il est de fait beaucoup plus accessible au plus grand nombre, outre la question de la langue.

Il ressort du texte une image bien moins réductrice de l’Armée rouge, loin d’être un simple agglomérat de soldats rapidement assemblés, dotés d’armes rustiques mais performantes, avinés de vodka pour compenser l’inexpérience par l’enivrement, poussés par des chefs incompétents et insensibles à leurs hommes. Outre de montrer les détails tactiques et organisationnels qui peuvent faire basculer la décision, Jean LOPEZ porte une attention particulière aux hommes qui conçoivent, planifient, valident, conduisent la bataille. Tout est question de formation, d’historique, de caractère et de relations intrapersonnelles. Sans ce volet, impossible de comprendre les arcanes de toute organisation (militaire, civile ou politique). Le régime de terreur mis en place par les Soviétiques et plus particulièrement STALINE a des conséquences sur la fiabilité des informations remontées et la prise de décision. Cela se corrige progressivement au fur et à mesure du conflit. A l’opposé, la chaîne de commandement allemande suit le chemin inverse sous l’influence de HITLER à partir de l’hiver 1941/1942.

L’importance du facteur humain et géographique

Autre élément mis en avant par Jean LOPEZ, la répartition des rôles et des responsabilités entre les décideurs. Il touche du doigt la notion de capacité organisationnelle et décisionnelle, quasiment jamais évoquée dans les ouvrages d’histoire militaire. Les Soviétiques en manquent encore et les défaites de 1942 leur font perdre encore trop de cadres d’expérience. A l’inverse, la Wehrmacht peut encore compter sur toute une génération de chefs bien formée qui capitalise une expérience encore inégalée leur permettant une bien meilleure maîtrise de la complexité de ces batailles.

Intéressant aussi quand il aborde la terreur des fantassins allemandes face aux chars soviétiques, l’auteur souligne en creux le manque de support de l’infanterie allemande pour lutter contre. Le regroupement des chars au sein des seules divisions blindées ne parvient pas à être compensé par le déploiement des canons d’assaut et les canons antichars sont trop nombreux. Seuls quelques canons de Flak bien positionnés arrêtent l’avance des colonnes soviétiques. C’est le cas en 1942, ce sera encore le cas à la fin de la guerre. Utiles pour limiter les dégâts, insuffisants pour gagner la guerre. Seule l’intervention des divisions blindées permet de reboucher les trous, cette bataille en donne un exemple.

Enfin, Jean LOPEZ n’oublie pas la géographie, de la zone des combats mais également celle qui contraint les flux logistiques et de mouvement des unités.

Points d’amélioration

Quelques points d’amélioration peuvent être néanmoins notés. La trentaine de pages recensant les unités engagées apporte peu, sauf à gonfler la pagination (on est loin de l’aspect pavé et massif de son Barbarossa, 1941, la guerre absolue). Cette liste pourrait être résumée sous forme de tableau ou de façon plus ramassée comme c’est la cas dans les ouvrages de David GLANTZ. Surtout, l’énumération des unités engagées n’apporte aucune notion qualitative et quantitative que ce soit pour les divisions blindées, d’infanterie ou les unités d’appoint à disposition des armées et corps d’armées.

Les cartes sont positionnées en encart central. Plutôt que d’avoir une fiche présentant quelques dates chronologiques et la légende des cartes (utile marque-page cependant), il aurait mieux valu un livret à part permettant de suivre en parallèle texte et carte. Soit à la façon de certains livres chez Helion, soit plus innovant, sous forme d’un jeu de fiches / cartes. Il pourrait en être de même pour les ordres de bataille ou les matériels. Des aides de lecture comparables aux aides de jeu dans les Wargames…

On peut également regretter d’être revenu à une présentation très classique, sans conserver l’esprit iconographique du Mook De la guerre ou celle de la collection Chefs de guerre. Dans cette dernière, les notes se situent en bas de page, ce qui évite de basculer en permanence du corps du texte à la fin de livre.

Conclusion

D’une lecture aisée par le style mais sans tomber dans la facilité, ce Kharkov de Jean LOPEZ se met à la portée des lecteurs débutants sur ce sujet mais aussi des plus confirmés qui maîtrisent pourtant cet affrontement au démarrage de Fall Blau. Dépassant le strict récit chronologiques des combats, l’auteur cherche en effet à mettre en avant les facteurs importants dans les prises de décisions, la conduite et la maîtrise des opérations. Une petite unité avec le bon armement au bon endroit et au bon moment, un chef dans de bonnes conditions de décision… Autant de petits détails qui font pencher la balance d’un côté ou de l’autre.

Sommaire

  • Avant-propos, nommer une bataille
  • Stratégies
  • L’opération
  • Echos et ondes de choc

Caractéristiques

  • ISBN : 978-2-262-09392-1
  • Nombre de pages : 316
  • Langue : Français
  • Reliure : souple, collée
  • Dimensions : 15,5 x 21,5 cm
  • Prix conseillé France à la date de parution : 24 € TTC

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