Trois grandes thématiques émergent de ce numéro de Normandie 1944 Magazine : les combats dans la tête de pont aéroportée américaine dans le Cotentin, la réaction allemande au Débarquement à travers la montée en ligne de la 130. Panzer-Lehr-Division qui représente l’habituel “gros dossier” de Frédéric DEPRUN et la présentation commentée par Hugues WENKIN d’un rapport que fait Heinz GUDERIAN sur l’engagement de la Panzerwaffe au cours des trois premières semaines en Normandie. Outre les sujets proprement dits, les thèmes et le contenu donnent l’opportunité de se pencher sur l’évolution de l’historiographie de la campagne…
Recension
Soixante-quinze ans d’historiographie de la bataille de Normandie
Les vainqueurs formatent toujours le récit de leur épopée. La Seconde Guerre mondiale ne fait pas exception, et encore moins les combats à l’Ouest en 1944 et 1945. Dès les combats terminés en Europe, tant Dwight EISENHOWER que Bernard MONTGOMERY écrivent (ou font écrire) leur vision avec respectivement Crusade in Europe et From Normandy to the Baltic. Ces ouvrages posent les fondations de toute l’historiographie. A la suite de ces deux rapports, plusieurs autres pamphlets et livres sont rédigés et publiés sur différentes thématiques. Ils alimentent les premiers récits globaux de la bataille comme celui de Georges BLOND, Le Débarquement, publié la première fois en 1951.
Plus original, l’armée américaine recueille de façon assez systématique le point de vue de l’adversaire en enrôlant les principaux responsables allemands alors en captivité. Au-delà de l’intérêt historique, cette démarche permet de canaliser toute une élite qui collabore avec son ancien ennemi pour participer à l’écriture de sa propre Histoire. Idéal pour construire l’après-guerre et transformer l’ennemi en allié ! La somme de ces études couplée avec les rapports opérationnels rédigés par les unités ainsi que des témoignages de vétérans alimentent les historiques officiels qui sont publiés dans les années 1960 avec notamment Martin BLUMENSON côté américain et L. F. ELLIS côté britannique. Outre le récit classique largement repris par la suite, les cartes des combats en Normandie reposent encore aujourd’hui par celles fournies dans ces historiques officiels, qu’elles soient reproduites directement ou à peine reformatées. Chester WILMOT publie également The Struggle for Europe.
Au début des années 1960 paraissent également des historiques qui reposent principalement ou exclusivement sur des témoignages de vétérans et d’acteurs des opérations. Ainsi, Cornélius RYAN publie à partir d’une partie des nombreuses interviews qu’il a mené son fameux Jour le plus long tandis que Paul CARELL sort son tout aussi célèbre Sie kommen. Viennent ensuite les publications des mémoires des différents protagonistes, alliés et allemands. Tous procurent d’intéressants témoignages, mais manquent souvent d’objectivité, voire tentent de réécrire à leur avantage l’Histoire. Les livres ultérieurs de Jean MABIRE sont de la même veine : vivants, un brin romanesques, ils valorisent le récit de leurs héros au point de réhabiliter une vision sacrificielle, voire romantique, du guerrier germanique.
Les années 1960 sont décidément très riches d’un point de vue éditorial puisque des auteurs français comme Albert PIPET et Eddy FLORENTIN rédigent également de nombreux ouvrages qui font encore référence. Ce denier consulte les journaux de marche des unités pour reconstituer un récit vivant et coloré de la poche de Falaise/Trun/Chambois, de l’opération Paddle, du repli allemand en direction de la Seine jusqu’à la bataille du Havre.
Le recul du temps, les retours sur le terrain des années 1970 et 1980 sont propices au recueil de nombreux témoignages de vétérans qui évoquent plus librement leurs expériences. La traduction de sources d’origine anglo-saxonne, dont les historiques allemands rédigés en captivité après-guerre, et le partage des récits de première main des vétérans font le bonheur des Editions Heimdal et de 39/45 Magazine. Les historiques officiels américains servent ainsi de base aux volumineux albums historiques qui englobent des centaines de clichés officiels à la différence des éditions originales Après les historiques globaux et les mémoires, voici le temps des épopées individuelles. Les combats abandonnent quelque peu leur récit chronologique et opérationnel, pour se plonger dans le vécu des combattants. Moins connu du grand public, les journaux des associations de vétérans regorgent ainsi de témoignages.
Les Normands eux-mêmes se livrent davantage au fil des ans, au même titre que les vétérans. De nombreux récits individuels émergent et complètent une multitude d’ouvrage d’histoire locale qui partagent la souffrances de la population.
Les années 1980 et 1990 voient apparaître des historiques qui mélangent des descriptifs plus analytiques et critiques que les récits officiels complétés de zooms sur des détails. John KEEGAN publie Six Armies in Normandy en 1982 et lance un nouveau genre, Carlo D’ESTE Decision in Normandy, The Real Story of Montgomery and the Allied Campaign en 1983, Russell A. HART Clash of Arms, How the Allies Won in Normandy en 2001. Fin des années 1990 et à partir des années 2000, des livres plus pointus arrivent, réévaluant certaines visions ou apportant des éclairages détaillés sur des aspects laissés totalement de côté par les historiens comme les ouvrages de Didier LODIEU ou les historiques de Frédéric DEPRUN. On notera également les passionnants et érudits British Armour in Normandy et The Normandy Campaign 1944: Sixty Years On.
Histoire et historiographie…
Ce cheminement se reflète parfaitement dans ce numéro de Normandie 1944 Magazine. Ainsi, l’article sur la 709. Infanterie-Division face au Débarquement et surtout face aux parachutistes américains puise ainsi dans l’étude historique menée par le chef de corps du Grenadier-Regiment 919 pour le compte des services historiques qui avait par exemple déjà fourni la trame de Cherbourg, première victoire américaine en Normandie en 1990 en complément du récit officiel américain. A ces deux sources s’ajoute un témoignage d’une Normande et le travail autour des photographies personnelles de soldats allemands laissées sur le terrain. L’autre atout iconographique de l’article repose sur les photos prises il y a quelques années des lieux des combats et des faits, dont deux belles fresques d’époque peintes par des soldats et préservées jusque-là. Les cartes sont, comme de coutume chez Heimdal, reprises sans modification (ou presque) des historiques officiels américains.
De même, la première partie de l’étude consacrée à l’engagement du Panzergrenadier-Regiment 901 de la 130. Panzer-Lehr-Division repose sur une compilation de témoignages de vétérans dont les détails sont parfois difficilement vérifiables. L’iconographie mélange aussi des clichés officiels, des photos privées et des images de synthèse que permettent désormais les nouvelles technologies. Comme souvent, le lecteur francophone bénéficie de sources rarement ou pas traduites en français. Les non initiés peuvent donc avoir du mal à replacer cette multitude de détails dans leur contexte. Ils passeront ainsi à côté du fait que la contre-offensive de la 130. Panzer-Lehr-Division en direction de Bayeux est toute aussi ambitieuse et potentiellement dangereuse que celle de la 12. SS-Panzer-Division face aux Canadiens à l’Ouest de Caen.
Plonger dans les sources primaires reste un exercice obligé pour tout amateur d’Histoire. Hugues WENKIN décortique ainsi le rapport rédigé par Heinz GUDERIAN sur l’engagement de la Panzerwaffe en Normandie. Lire de telles sources permet de s’imprégner des impressions des contemporains. a condition de ne pas être totalement naïf non plus. Comme tout rapport, il est influencé par les message que souhaite faire passer son auteur. Les non-dits sont également particulièrement intéressants. D’où l’importance d’orienter le lecteur dans sa compréhension de la source. Ce que fait parfaitement ici Hugues WENKIN. voilà de quoi relativiser certaines interprétations reprises après-guerre sans véritablement de réelles remises en cause.
De la délicate question des crimes de guerre
L’article sur la 709. Infanterie-Division dans le Cotentin est l’occasion de revenir sur les crimes de guerre commis par les parachutistes américains et les Osttruppen. Le texte s’attarde sur l’exécution sommaire de prisonniers allemands et de volontaires géorgiens de l’Ost-Bataillon 795 par des soldats américains. A n’en point douter, l’exécution de prisonniers et les crimes de guerre ne sont pas du seul fait des hommes de la Wehrmacht et de la Waffen-SS.
Il serait cependant inexact de mettre sur un même plan les différentes armées, même si toutes ont une part sombre. Le crime de guerre est dans un cas une certaine continuation idéologique. Il s’exprime pleinement en 1940 contre les troupes coloniales françaises (voir par exemple Massacrés ! Le triste sort des soldats africains et indochinois en Picardie et Normandie ou Juin 1940, combats et massacres en Lyonnais), en URSS, dans les Balkans et contre toute forme de résistance. L’Armée rouge n’est pas exempte d’un aspect assez systémique que reflètent les exécutions de Polonais en 1939 (voir First to Fight) ou les viols à grande échelle en Allemagne à la fin du conflit.
Rien de tel cependant côté des Alliés occidentaux, même si des exactions à titre individuel ou du fait de petits groupes ont lieu (y compris des viols de civils). Cela n’empêche pas que le risque existe et se matérialise sous certaines contraintes : celles de ne pas s’encombrer de prisonniers pour la poursuite des combats, par vengeance ou sous l’emprise d’une trop forte tension. Rien à voir avec, par contre, la destruction volontaire et systématique des grands centres urbains allemands et japonais par les bombardements aériens ou encore le recours extensif à la destruction collatérale d’infrastructures civiles pour atteindre des objectifs militaires. Au-delà des faits eux-mêmes dont le récit permet de souligner que la guerre n’est pas quelque chose de propre.
Dans ce domaine aussi l’historiographie fait des progrès. Les nuances qui se dégagent désormais permettent de revenir sur le côté non systémique des crimes de guerre allemand que certaines tentatives de réhabilitation après-guerre tendaient à ne limiter qu’aux seules forces de la Waffen-SS (voir ainsi Être soldat de Hitler), sans pour autant masquer les errements alliés ou soviétiques.
Profils couleurs
- Ford V3000 transformé en Panzerkampfwagen-Nachbildung
- Bren Carrier, 50th (Northumbrian) Infantry Division
- Cromwell, 7th Armoured Division
- Light Tank M3A3 Stuart, 7th Armoured Division
Cartes
- Le Grenadier-Regiment 919 sur la côte Est du Cotentin, juin 1944
- Plan général du centre de Foucarville
- Dispositions des forces allemandes autour de Sainte-Mère-Eglise au 6 juin 1944
- Carte du Caucase indiquant l’origine géographique des Osttruppen de cette région
- 502th PIR le 6 juin 1944
- Utah Beach, 6 juin 1944
- Environs d’Audouville-la-Hubert
- 508th PIR D-Day plan, 6 June 1944
- 508th Drop Pattern, 6 june 1944
- Repositionnement de la Panzer-Lehr-Division, 8 juin 1944, secteur Brouay/Norrey vers Tilly/Fontenay
- Progression du 5th Royal Tank Regiment, 22nd Armoured Brigade, 7th Armoured Division en direction de Lingèvres
- Lingèvres, situation vers 14h le 11 juin 1944
- Bois de Verrières 11 juin 1944 vers 14h30
Sommaire
- Georges BERNAGE, Nuit du 5 au 6 juin 1944, la 709. Infanterie-Division face à son destin : article de vingt-deux pages consacré à la 709. Infanterie-Division confrontée à la tête de pont aéroportée américaine dans le secteur de Foucarville et de Ravenoville ainsi que l’exécution de prisonniers de l’Ost-Bataillon 795 par les Américains à Audouville-la-Hubert – Texte, cartes, photos dont certaines contemporaines à l’article.
- Stéphane JACQUET, 6 juin 1944, les paras du 508th PIR à Saint-Marcouf et Ravenoville identifiés, Then and Now : article de six pages sur la 82nd US Airborne Division à Saint-Marcouf et Ravenoville – Texte, cartes, photos.
- Matthieu LONGUE, Uncle Bob, Lieutenant General Robert F. Sink : article de quatorze pages sur Robert F. SINK chef d’un régiment de la 82nd US Airborne Division sur la tête de pont aéroportée américaine en Normandie – Texte, cartes, photos.
- Frédéric DEPRUN, Le Pz.Gr.-Lehr-Rgt. 901 “Scholze” (1ère partie), H.K.L. Lingères, la forêt de Verrières, 8 au 12 juin 1944 : article de trente-huit pages sur la montée en Normandie de la 130. Panzer-Lehr-Division, l’engagement en direction de Bayeux, Brouay, Norrey puis ses combats à Verrières et Lingèvres face à la 7th Armoured Division jusqu’au 12 juin 1944 – Texte, cartes, photos.
- Hugues WENKIN, Retour d’expérience en Normandie, le rapport Guderian : présentation analysée et commentée du rapport établi par Heinz GUDERIAN sur l’engagement de la Panzerwaffe les trois premières semaines de la bataille de Normandie – Texte, photos.
Caractéristiques
- Nombre de pages : 96
- Langue : Français
- Reliure : brochée
- Dimensions : 21 x 29,7 cm
- Prix conseillé France à la date de parution : 11,50 € TTC