Chars en Normandie, été 1944, le choc (Caraktère, 2021)

La bataille de Normandie fait partie des grands classiques des classiques de l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Le sujet parait même inépuisable ! Depuis le novateur (pour l’époque) Panzers en Normandie d’Eric LEFEVRE, l’encre ne cesse de couler sur le rôle qu’y jouent les chars, qu’ils soient allemands, britanniques, américains, canadiens ou encore polonais… Pourtant, le sujet apparait au fil des livres et des articles bien plus complexe et nuancé qu’il n’y parait de prime abord. Au point de mériter un nouvel ouvrage sur le sujet ?

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Recension

Dans son effort sans précédent de publication de livres, les Editions Caraktère proposent ce livre de Franck SEGRETAIN. Immédiatement, la patte graphique de la maison s’affirme. Rien ne manque et les lecteurs de Batailles & Blindés ou de Ligne de Front retrouvent les standards habituels auxquels ils sont habitués. Le seul étonnement vient de cette étonnante police de caractères dans les textes d’accroche qui met un point à l’intérieur des “o”. Cette bizarrerie épargne heureusement le corps du texte.

Bien entendu, la crainte est toujours de voir recycler d’anciens textes assemblés les uns avec les autres sans avoir toujours de cohérence et de fluidité. Ce n’est heureusement pas le cas même si bien entendu le classicisme du sujet et l’adoption d’un point de vue assez consensuel amènent automatiquement un air de déjà connu.

Le premier chapitre s’ouvre sur la présentation des stratégies des deux camps en vue du combat décisif à l’Ouest. Rappelant les propos d’un certain nombre de protagonistes, l’auteur revient logiquement sur la controverse qui agite les états-majors allemands sur l’utilisation des réserves blindées en soulignant leur dispersion géographique et hiérarchique. Comme en URSS, la seule capacité de riposte défensive allemande repose sur la concentration de forces blindées pour contre-attaquer l’adversaire capable de percer un front trop large et des forces d’infanterie trop faibles pour le tenir solidement. La construction du Mur de l’Atlantique (Atlantikwall) n’a d’ailleurs pas vocation à stopper par lui-même un débarquement mais à retarder suffisamment l’assaillant pour permettre de monter ce contre décisif.

L’auteur colle ici à une vision classique basée sur la stratégie prônée par Erwin ROMMEL et donc très critique vis-à-vis du schéma retenu in fine et attribué à la seule décision d’Adolf HITLER. Sans aller jusqu’à la théorie du “complot pour la paix” telle que décrite par Georges BERNAGE (voir 39/45 Magazine n°355), les responsabilités ne sont pas aussi binaires (cf. Countdown to D-Day, The German High Command in Occupied France, 1944). Contrairement aux Alliés, les responsables allemands, minés par des querelles d’égo dans un système qui privilégie les dissensions plutôt que le consensus, sont incapables de s’aligner sur une position commune.

N’étant pas au courant de la position exacte du Débarquement allié, les stratèges allemands ne peuvent que répartit au mieux leurs réserves blindées. D’autant plus que plusieurs unités se trouvent en cours de reconstitution et donc pas totalement opérationnelles. Dans un contexte stratégique particulièrement tendu en pleine pénurie de besoins humains et matériels, imaginer une concentration immédiate de toutes les divisions blindées disponibles relève de l’utopie.

Les choix opérés ne semblent pourtant pas si mauvais ou inconséquents que cela. En moins d’une semaine, les Allemands alignent en Normandie quatre divisions blindées, malgré la présence aérienne alliée qui tente de sanctuariser la zone d’invasion. La difficulté germanique tient davantage dans son incapacité à pouvoir concentrer ses forces de contre-attaque puisqu’elles sont absorber pour des tâches défensives faute de moyens d’infanterie qui n’arrivent pas assez vite et en nombre. La 21. Panzer-Division échoue à repousser la tête de pont aéroportée britannique, tout juste fait-elle en sorte que Caen ne tombe pas au soir du 6 juin 1944 sans pour autant être la seule responsable de cette action finalement décisive pour la suite de la campagne. La 12. SS-Panzer-Division tente d’avancer vers la mer au fur et à mesure de l’arrivée de ses composantes, mais elle ne parvient qu’à stopper la progression de la 3rd Canadian Infantry Division qui commence à contourner Caen. Quant à la 130. Panzer-Lehr-Division, elle tente bien de reprendre Bayeux mais doit stopper immédiatement son effort à Ellon du fait de la menace britannique sur Tilly-sur-Seulles. De son côté, l’arrivée de la 2. Panzer-Division permet d’éviter l’effondrement du front allemand lors de l’opération Perch et dans le secteur de la trouée de Caumont-l’Eventé.

Bien plus que le positionnement initial des divisions blindées, la coordination de la conduite de la bataille et la cohérence des chaînes de commandement sont bien plus préjudiciables. D’autant que la quasi absence de moyens de reconnaissance et de renseignement oblige à des choix tranchés et des prises de risque dans un flou total.

La bataille de Normandie tient sa promesse en termes d’engagement de masses blindées. Une concentration record par kilomètre de front comme le rappelle Steven ZALOGA dans Allied Tanks in Normandy 1944. Pourtant, rien ou presque ne se passe comme prévu : ni la construction de la contre-attaque blindée allemande décisive pour repousser les Alliés à la mer, ni les coups de boutoir britanniques pour agrandir la tête de pont, ni la progression à travers le bocage. Jusqu’à l’opération Cobra, les deux camps ont des motifs d’aigreur et d’insatisfaction. Comme très souvent, les réalités géographiques et les réactions puis les adaptations de l’adversaire ont raison des meilleures intentions. La géographie dicte sa loi, que ce soit aux divisions blindées ou au unités indépendantes.

La courte conclusion rappelle en creux que l’emploi des chars ne ressemble absolument pas à celui qu’il fut à l’Ouest en 1940. Pour les Alliés, ils ne sont qu’un outil parmi d’autres pour parvenir à battre l’adversaire, pour les Allemands, l’arme décisive dans l’offensive devient le point d’ancrage de la défense, à contrecœur cependant.

D’un point de vue iconographie, l’ouvrage possède son lot de cartes couleurs publiées sur de pleines pages, ses profils couleurs, ses compositions théoriques d’unités, ses schémas tactiques de progression. Il faut apprécier les deux dessins couleurs représentant en pied des tankistes, même si en avoir le double ou le triple n’aurait pas été de refus. Dans les détails, le symbole utilisé pour la 21. Panzer-Division sur la carte de sa contre-offensive du 6 juin 1944 utilisé également pour la 17. SS-Panzergrenadier-Division tient davantage de la reconnaissance blindée que du blindé ou de l’infanterie mécanisée. Les photos sont assez classiques et issues des archives officielles. Quelques encarts ponctuent le déroulement du texte (la 130. Panzer-Lehr-Division, Kurt MEYER, le déclin de l’Empire et de l’armée britannique, la 11th Armoured Division, Maurice ROSE, la 2nd US Armored Division, les pertes allemandes, les pertes alliées en chars et en tankistes).

Les vieux grognards bien équipés peuvent légitiment se poser la question de l’intérêt d’acquérir un tel ouvrage valant quand même près de 40€. Les plus novices peuvent au contraire y trouver une base solide réunie en un seul livre qui englobent tous les camps et non seulement l’un ou l’autre. Mais pour quelques euros de plus, ne vaut-il pas mieux se procurer un livre plus pointu, avec davantage de pages et d’originalité ? En tout cas, il semble bien difficile pour un éditeur de ne pas avoir un traitant de ce sujet dans son offre…

Sommaire

  • Débarquer en France, les stratégies allemandes et alliées
  • 6 au 28 juin, le Débarquement et la conquête de la tête de pont
  • 26 juin au 24 juillet, les batailles du bocage et de Caen
  • L’emploi des chars en Normandie, entre doctrine et réalité du terrain
  • La percée américaine
  • L’exploitation des blindés américains et la Poche de Falaise
  • Conclusion

Caractéristiques

  • ISBN : 978-2-916403-40-3
  • Nombre de pages : 176
  • Langue : Français
  • Reliure : brochée
  • Dimensions : 21 x 29 cm
  • Prix conseillé France à la date de parution : 39,90 € TTC

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