L’actualité politique en vue de la campagne présidentielle de 2022 le montre, les interprétations historiques concernant la Seconde Guerre mondiale restent encore particulièrement sensibles, tant au niveau national français qu’international. Cela n’a rien d’étonnant compte tenu du retentissement de ce conflit qui reste particulièrement marqué du sceau des idéologies. Les écrits d’après-1945 façonnent la vision et formatte l’Histoire officielle. Côté français, le général en chef Maurice GAMELIN fait office de coupable idéal pour les affaires militaires sur lequel chaque camp se met d’accord, y compris le régime de Vichy. Si le personnage n’est pas exempt de reproche, loin de là, il est également le reflet des compromis de son époque. Alors que l’image de l’armée française commence à s’améliorer dans l’esprit du public un minimum documenté, n’est-il pas temps de revisiter le rôle et la responsabilité du chef suprême ?
Recension
Deux ans après avoir publié un fabuleux portrait du général de GAULLE dans son n°134, GBM s’appesantit sur Maurice GAMELIN (voir aussi GBM n°81). Le contexte est en effet favorable puisque Max SCHIAVON publie en même temps une biographie sur le sujet (voir un extrait paru dans Ligne de Front n°93). Une page d’interview lui est d’ailleurs consacrée.
De son côté, Christophe AKNOUCHE s’intéresse plus particulièrement au rôle joué par Maurice GAMELIN dans la mécanisation de l’armée française. La période disséquée ici est celle de 1930 à 1935, un moment charnière. De l’autre côté du Rhin, les élites militaires allemandes préparent en sous-main la réarmement avant même l’arrivée au pouvoir d’Adolf HITLER et explorent également le potentiel de la future arme blindée. Plus à l’Est, la réflexion est également intense en URSS mais Joseph STALINE y met un coup d’arrêt brutal avec ses purges avant d’y revenir et d’en tirer le bénéficie au cours de la Seconde Guerre mondiale (voir L’Armée rouge ou D’une Armée rouge archaïque à une armée moderne, les réformes Toukhatchevski dans Batailles & Blindés n°104).
Maurice GAMELIN ne semble ni être un frein, ni un réel promoteur. Dans sa posture d’équilibriste perpétuel il ne sait imposer un choix clair et définitif, à l’opposé de ses homologues allemands. Or, toute transformation nait à la fois d’une réflexion intellectuelle suffisamment brillante pour tracer des orientations pertinentes et d’une volonté sans faille capable de bousculer les réticences naturelles pour réaliser la vision entrevue. Las, la France et ses dirigeants demeurent au niveau des supputations et ne peuvent avancer à la bonne vitesse. Les retards industriels s’ajoutes aux hésitations doctrinales. Le compromis qui se dessine dissous les avantages sans prendre le risque de mettre ses œufs dans le même panier, ni de heurter les chapelles existantes. La pensée de De GAULLE n’est pas assez approfondie et politiquement trop provocante pour espérer faire bouger les lignes. Celle de Maurice GAMELIN reste obstinément accrochée à celle du char qui accompagne l’infanterie pour espérer toute impulsion par le haut.
Dans la gestion de la profonde transformation qui s’annonce, les Allemands bénéficient d’un avantage de poids : celui de repartir d’une page blanche et de s’affranchir quelques peu des querelles intestines (qui existent cependant) où chacun cherche à préserver les acquis de sa position. Quand la cavalerie française se transforme plus rapidement par peur de disparaître, celle allemande est purement annexée et remplacée par les troupes rapides qui deviennent ultérieurement les Panzertruppen. Ce choix ne répond cependant pas au besoin de l’appui de l’infanterie et qui donne naissance au Sturmgeschütz (StuG) III promu par Erich von MANSTEIN et l’artillerie au grand dam d’ailleurs de Heinz GUDERIAN.
Car, comme toujours, il est question de priorités et de moyens par définition contraints. En débutant la construction de la Ligne Maginot, la France s’engage dans un investissement gigantesque qui absorbe une bonne partie de ses crédits militaires. Pour le que le début de l’investissement soit rentable, il faut qu’il soit complet. Maurice GAMELIN n’a pas la force de caractère pour revenir sur un choix si structurant pour la stratégie française.
Alors que le France pense chars d’appui et cavalerie mécanisée, l’Allemagne fait un choix inverse, quitte à revenir dessus ensuite, avec grande difficulté d’ailleurs. Seules les Etats-Unis par leur puissance industrielle reposant sur une logique d’optimisation industrielle et des moyens logistiques colossaux peuvent mener de front ces deux orientations. La défaite de 1940 ne laisse pas à la France le temps de corriger ses défauts initiaux à l’inverse de l’Allemagne qui reste également longtemps prisonnière des choix faits dans cette période et qui s’avèrent inadéquats dans le cadre d’un conflit réellement continental et non régional.
Les lecteurs peuvent apprécier l’ébauche de schéma chronologique sur la mécanisation de l’armée de terre selon Maurice GAMELIN. Dommage qu’il faille attendre la suite de l’étude pour en avoir la seconde partie !
Ces erreurs initiales n’empêchent les soldats français de se battre jusqu’au bout et d’aller jusqu’au sacrifice suprême comme le démontrent les deux articles consacrés aux combats de 1940.
Côté matériels, l’original est particulièrement au rendez-vous avec les premières voitures des états-majors de 1875 à 1914, les étonnantes mais efficaces canonnières fluviales de la Première Guerre mondiale engagées sur le sol national et les Citroën-Kégresse de la première génération.
Sommaire
- Le manifeste français
- Max SCHIAVON, Gamelin : interview d’une page au sujet de sa biographie sur Maurice GAMELIN – 5précisant l’apport des archives privées du général et de ses collaborateurs dans l’explication de sa personnalité et de ses choix – Texte.
- Pages choisies au fil des éditeurs
- Jean-Claude LATOUR, Les voitures des états-majors, 1875-1914 : article de six pages sur les voitures d’état-major françaises entre 1875 et 1914 d’abord hippomobiles puis progressivement motorisées avec les premières véhicules – Texte, photos, profils couleurs.
- Guy FRANCOIS, Les canonnières fluviales, 1915-1920 : article de dix pages sur les canonnières fluviales mises en œuvre par l’armée française au cours de la Première Guerre mondiale et leur engagement dans les Flandres, en Champagne, sur la Somme, l’Oise et l’Aisne – Texte, photos.
- François VAUVILLIER, Les Citroën-Kégresse de la première génération : article de douze pages décrivant les caractéristiques techniques et la conception des Citroën P1T, P2T, P4T et P7T – Texte, photos, profils couleurs.
- Christophe AKNOUCHE, Gamelin et la mécanisation de l’armée (1ère partie), 1930-1935 : article de huit pages sur le rôle de Maurice GAMELIN dans la motorisation de l’armée française et la mise en place d’une arme blindée dans la continuité des réflexions entamées par Maxime WEYGAND, son rôle dans les commandes de chars Renault R35, Hotchkiss H35 et Somua S35, dans la création des Divisions Légères Mécaniques (DLM) mais soulignant son manque d’autorité hiérarchique sur la production des matériels qui prend de ce fait du retard, notamment en termes de chars B1 et B1 bis – Texte, photos, profils couleurs.
- Stéphane BONNAUD, 7ème BCC, le dernier combat : article de dix-huit pages sur l’engagement du 7ème Bataillon de Chars de Combat (BCC) sur l’Aisne fin mai et début juin 1940, sa mise à la disposition de la 3ème Division Cuirassée (DCR), sa contre-attaque sur Attigny en parallèle de celle du 4ème Bataillon de Chars de Combat (BCC) sur Voncq avant d’entamer son long repli à travers la France – Texte, cartes, photos, profils couleurs.
- Jean-Paul ZIEGLER & François VAUVILLIER, Groupe franc blindé et cavaliers motorisés : article d’onze pages sur les combats menés par un groupement formé d’éléments des 45ème Bataillon de Chars de Combat (BCC), 2ème Bataillon de Chars polonais et 20ème Groupe de Reconnaissance de Corps d’Armée (GRCA) sur la Loire dans la région de Saint-Etienne et Saint-Chamond face notamment à la Leibstandarte SS Adolf Hitler – Texte, cartes, ordres de bataille, photos.