A l’occasion de la parution de son livre Sainte-Mère-Eglise, la 82nd U.S. Airborne Division chez OREP, l’un de ses deux auteurs, Christophe PRIME, répond à quelques unes de nos questions. Il explique les raisons de sa passion, son approche et nous parle de ses projets. Sans oublier d’insister sur quelques passionnants détails historiques !
Bonjour Christophe, avec Sainte-Mère-Eglise, vous publiez votre quatrième livre sur le Débarquement en Normandie aux Editions OREP, après ceux consacrés à Omaha Beach, Utah Beach et les ports artificiels. Tout n’a-t-il pas déjà été dit et écrit sur ces sujets ?
Oui effectivement, l’essentiel a été dit sur les opérations militaires en Normandie. Néanmoins, nos l’histoire n’est pas une science humaine figée. Certaines certitudes méritent d’être remise à plat. Chacun de mes ouvrages est sous-tendu par une problématique ou bien contient des informations qu’on ne trouve pas forcément ailleurs.
Ainsi l’objectif de l’ouvrage sur Arromanches est de montrer que la logistique alliée ne s’arrête pas aux seuls ports artificiels. Il s’agit d’une mécanique extrêmement complexe. Les Gooseberries ont un rôle essentiel et je voulais démontrer que contrairement à ce que pense certains historiens, Port Winston était parfaitement adapté aux besoins de la 2nd British Army. Quand on pense à la logistique, on a tendance à globaliser les choses. Or, il y a bel et bien deux logistiques distinctes œuvrant côte à côte. Il faut rapporter le tonnage débarqué aux besoins des différentes armées. On apprend ainsi que la plage de Sword n’a quasiment être utilisée en raison des tirs de harcèlement allemands retranchés à l’est de l’Orne. Pour réaliser ce livre, j’ai étudié les rapport britanniques et américains donnant les tonnages journaliers pour chaque plage que Guillaume Dormy du musée d’Arromanches a trouvé dans les archives nationales britanniques.
Je me surprends à chercher des détails qui peuvent paraître évident sans les trouver. Par exemple, quel est l’effectif précis d’une division aéroportée américaine en 1944 ? Eh bien on se rend compte que l’effectif théorique a évolué au cours du conflit. De la même manière, on découvre que des troopers du 504th PIR (Parachute Infantry Regiment) ont intégré les Pathfinders de la 82nd AB. Ce ne sont là que quelques exemples.
Quelle est votre ambition éditoriale à travers cette série d’ouvrages ?
Mon objectif, ainsi que celui de mon éditeur OREP est de créer des ouvrages avec des textes de bon niveau tout en restant accessible. Quand on regarde les ouvrages existants, les pointus sont quelque peu rébarbatif et ceux destinés au grand public sont très légers sur le plan historique.
Un très grand soin est apporté aux photos et à leurs légendes. J’y tiens beaucoup. Très souvent, la recherche iconographique est réalisée après la phase d’écriture. Je préfère mener ces deux tâches de front. Cela permet de rythmer le livre et quelque fois d’orienter le contenu. Pour moi, un livre c’est un contenu mais aussi un objet. Et il faut bien se le dire, les habitudes des lecteurs ont beaucoup évoluer avec l’usage d’Internet et des réseaux sociaux. On lit moins longtemps. Il faut s’adapter à ces nouvelles pratiques.
Le recul du temps permet de se dégager de témoignages bien connus mais pas toujours très objectifs et des historiques officiels, essentiellement américains. Il en résulte une vision généralement plus nuancée mais aussi moins simpliste des combats. Est-ce également le cas avec la bataille de Sainte-Mère-Eglise que vous présentez ?
Quand j’écris, je furète, je croise les sources, je me questionne sans cesse. Notre vision des combats est effectivement de plus en plus nuancée. Si les témoignages doivent être pris avec beaucoup de circonspection, ils peuvent compléter à merveille l’histoire officielle.
À Sainte-Mère-Eglise, les paras agissent dans l’impéritie la plus totale compte tenu de leur dispersion et du cloisonnement de la région par les haies et les zones inondées, sans oublier la réaction des Allemands qui contrairement à ce qu’on peut souvent lire n’ont pas fait de la figuration. Rendre compte de ces combats n’est pas aisée, parce qu’il n’y a plus de plan, plus de logique.
Avec Eric Belloc, nous avons réussi à remettre de l’ordre pour permettre au lecteur de suivre le déroulement de la bataille heure par heure. En dépit des conditions d’engagement désastreuses, les paras de 82nd AB vont s’adapter et remplir leurs objectifs, comme ils l’avaient fait en Sicile. Nous revenons d’ailleurs sur les origines de l’arme aéroportée et le parcours remarquable des All Americans. Il était important de replacer la bataille de Sainte-Mère dans l’histoire de l’unité. Ils étaient aussi présents dans les Ardennes. Il n’y a pas eu que la 101st AB à Bastogne.
Dans les semaines qui précèdent le Débarquement, les Allemands renforcent très fortement leurs unités dans le Cotentin. Quels en furent les impacts sur les plans alliés et les combats eux-mêmes ?
Effectivement, du côté allemand, il se passe quelque chose à partir d’avril-mai 1944. La 352. ID (Infanterie Division) fait mouvement vers le secteur côtier allant de la baie des Veys à Port-en-Bessin. La 91. LLD (Lufltlande Infanterie Division) se positionne au centre de la presqu’île du Cotentin dans la région de Saint-Sauveur-Le-Vicomte, c’est-à-dire à l’endroit précis où la 82e AB doit être larguée. Une troisième unité qu’aucun historien ne mentionne, est également sur le point d’arriver. Il s’agit de la redoutable 2. Fallschimrjägerdivision, dont fait partie le FJR6 qui n’est que temporairement rattaché à la 91. LLD. J’évoque ce fait dans mon livre sur Utah (OREP, 2019).
Les planificateurs américains vont pouvoir déplacer vers l’est la zone de largage des All Americans, ils ne peuvent rien faire pour les troupes devant débarquer sur Omaha. Les dés sont jetés. J’ai tendance à penser que Rommel a pressenti que les Alliés allaient débarquer en Normandie. Il a agi en conséquence, sans pour autant aller à contre-courant de l’OKW obnubilé par le Nord-Pas-de-Calais.
Vous retranscrivez bien par les mots et les images le fractionnement des combats. Une fois les parachutistes hors de leurs avions, il n’y a plus vraiment moyen de coordonner les unités. Côté allemand, la difficulté est similaire en raison de la dispersion des parachutistes et de leur incapacité à pouvoir dégager une vision d’ensemble de tout ce qui est en train de se passer cette journée-là. Dès lors, quels sont les facteurs qui jouent en faveur et en défaveur de chaque camp au cœur du Cotentin ?
Les Allemands connaissaient bien la région. Ils savaient à l’avance de quels objectifs les assaillants – dixit les paras américains – allaient vouloir s’emparer. Ils ont finalement défendu tous les points clés, mais la dispersion des paras leur a complexifié la tâche car ces derniers pouvaient surgir de n’importe où. Les attaques coordonnées lancées contre le village de Sainte-Mère le 6 juin au matin démontrent que les Allemands s’étaient préparés à faire face à ce type de situation. Mais ils ont manqué de mordant et de réserves. Si les parachutistes ont fait valoir leur qualité, ils ont aussi un peu de chance à des moments cruciaux de la bataille.
La prise de risque américaine était-elle justifiée ?
Oui, totalement. Il était essentiel de s’emparer des chaussées menant à la plage d’Utah et d’empêcher les Allemands de faire converger leurs unités vers celle-ci. Il ne faut pas oublier que seules les chaussées sont praticables. Tout autour, les terres sont inondées. Il ne faut pas oublier l’artillerie allemande qui aurait pu causer des pertes importantes aux troupes américaines bloquées sur une plage congestionnée.
Comment juger objectivement la performance aéroportée américaine ?
Compte-tenu des conditions d’engagement et des résultats obtenus, je la juge plutôt très correcte en ce qui concerne les opérations au sol. Les paras ont fait ce pour quoi ils ont été formés. Un bon nombre des hommes de 82nd AB avait connu des moments aussi difficiles en Sicile et dans la péninsule italienne. Ce n’est pas un hasard si l’unité va rester en première ligne jusqu’au début du mois de juillet.
Quant au volet aéroporté, il n’a pas été satisfaisant. On peut bien sûr mettre en cause la formation ou le manque d’expérience des équipages des appareils C-47, mais quand on se remet dans le contexte – voler à basse altitude et à basse vitesse par une nuit de pleine lune dans une région infestée de pièces de Flak – on ne peut vraiment pas les blâmer. Il ne faut pas oublier que les pilotes avaient entre leur mains la vie de leur équipage et d’un stick complet de paras.
Et la réaction allemande ?
Comme je l’ai dit au-dessus, on a tendance à minorer cet aspect. Dans le livre, Eric Belloc et moi démontrons qu’elle n’a pas été si mauvaise que cela. La défense de la Fière l’atteste, même si on a souvent tendance à ne retenir que les opérations menées par les troopers et les gliders. Eux aussi, on les oublie souvent. Pas nous.
Vous avez fait le choix avec les Editions OREP de proposer des ouvrages pour le grand public mais avec un niveau de détail et de précision qui s’adresse également à un lectorat plus pointu. Comment parvenez-vous à concilier ces deux cibles aux attentes parfois difficilement conciliables ?
On a réussi à trouver la bonne formule avec les éditions OREP. Adolescent, j’achetai les livres pointus – les éditions Heimdal que j’ai toujours – mais j’avais du mal à les terminer. Trop de détails nuit à la compréhension des évènements, du moins c’est mon avis. C’est le principe qui me guide dans ces ouvrages. Il faut un juste milieu et je pense que les lecteurs découvrant l’histoire militaire, s’y retrouve. La qualité de la maquette et le choix de l’iconographie rendent également le contenu plus accessible.
De quoi êtes-vous le plus fier dans votre livre écrit également avec Eric BELLOC ?
C’est d’avoir pu travailler en étroite collaboration avec l’Airborne Museum qui nous a ouvert ses collections et son fond iconographique (Il y a approximativement 200 photos dans le livre, il en reste autant de non sélectionnées). Qui plus est, Eric a bien voulu se joindre à l’aventure. C’est un fin connaisseur de l’arme aéroportée américaine et des opérations qui se sont déroulées autour de Sainte-Mère. Ce quatrième opus est vraiment très réussi.
Il y a aussi un côté un peu sentimental. Lorsqu’en 1987 je suis venu pour la première fois sur les plages du débarquement avec mes parents et ma sœur (je suis Breton), le musée de Sainte-Mère-Eglise est le tout premier musée que j’ai visité et il m’avait fait une très forte impression. Le livre de Philippe Jutras, « Les paras US dans le canton de Sainte-Mère-Église » était toujours dans le tiroir de ma table de chevet. Il est toujours dans ma bibliothèque.
Vos prochains projets ?
Je suis en train d’achever un gros « morceau » pour les éditions PERRIN. Il paraitra l’année prochaine si tout va bien. Je m’éloigne de la bataille de Normandie, mais pas de la Seconde Guerre mondiale. Je me suis fixé un gros challenge mais le résultat sera au rendez-vous. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant. J’ai en parallèle plusieurs autres beaux projets avec les éditions OREP et CARAKTÈRE.