Batailles & Blindés n°101 (Caraktère, 2021)

Après un centième numéro particulièrement réussi et prometteur, Batailles & Blindés poursuit sa discrète mue pour aborder sa seconde centaine de numéros : sous une bannière modernisée, quelques contributions étrangères bienvenues, davantage de place accordée aux sujets avant et après la Seconde Guerre mondiale, recherche iconographique plutôt soignée et originale (même pour les clichés issus des archives officielles américaines). Bref, un sommaire particulièrement alléchant qui, en plus, tient toutes se promesses !

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Symbolisant tout l’intérêt à ouvrir les perspectives historiques sans se focaliser sur la seule Seconde Guerre mondiale, l’étude sur le transport et l’appui d’infanterie à travers un siècle de matériels militaires est un modèle du genre. En effet, la motorisation de l’infanterie est la grande affaire de la première moitié du XXème siècle, sa “blindisation” est celle de l’après-1945. L’article se concentre d’ailleurs essentiellement sur les développements de la Guerre froide avec le développement d’engins qui combinent capacités de transport et d’appui. Une différence fondamentale par les SdKfz 251 ou Half-Track Cars M3 ou M4 qui font l’un ou l’autre, mais pas réellement les deux en même temps, sauf par combinaison de plusieurs véhicules.

Les paragraphes relatifs à la Seconde Guerre mondiale sont davantage axé le transport blindé, sans réellement aborder la question de l’appui. Un sujet à creuser par ailleurs tant il est central dans la conception des chars de l’époque et le déroulement des opérations. Si les camions et les premiers semi-chenillés permettent de donner de la vitesse aux déplacements et de débarquer les hommes au plus près des combats, l’appui-feu est encore traditionnellement apporté par l’artillerie, les mortiers et les armes collectives d’infanterie. Des solutions qui s’avèrent trop lourdes, pas assez flexibles voire en manque de puissance de feu dès lors qu’elles sont transportées à dos d’homme ou tirées par des chevaux. Un problème dans une guerre redevenue mobile. Le char reste donc la solution la plus pratique pour apporter un appui puissant, précis et réactif à l’infanterie quels que soient les terrains ou presque. La transformation de transports blindés en engins d’appui n’est qu’un palliatif qu’en réduisant ou supprimant la capacité d’emport.

Ce besoin d’appuyer l’infanterie est loin d’être anecdotique puisqu’elle entraîne la dichotomie observée chez les Allemands et les Français au début du conflit dans la conception et l’utilisation des blindés.

Les premiers font le choix de concentrer tous leurs chars dans des grandes unités blindées laissant la majorité de leurs fantassins sans solution moderne d’appui. Le Sturmgeschütz (StuG) III est une réponse particulièrement innovante et adaptée mais ses premiers engins ne sont engagés qu’en mai 1940. Heinz GUDERIAN, entièrement focalisé sur les grandes unités blindées, recherche l’emploi exclusif des matériels blindés et freine le renforcement de l’infanterie. La puissance de feu des divisions blindées allemandes se retrouve diluée par des chars à vocation d’appui d’infanterie (Panzer I, Panzer II, Panzer IV) tandis que les fantassins sont laissés à eux-mêmes quand ils affrontent un ennemi retranché ou des unités blindées. Des solutions d’urgence sont immédiatement mises en œuvre après l’invasion de la Pologne, mais en trop petit nombre.

Les conséquences des choix initiaux allemands se révèlent cependant au grand jour en URSS. Les divisions blindées se retrouvent en position de faiblesse dans les combats face aux chars soviétiques. Plus grave, l’infanterie est bien dénudée alors que repose sur elle la maîtrise de l’immense territoire à conquérir et à tenir face à un ennemi aux ressources humaines et matérielles quasi illimitées comparées au potentiel germanique. L’appui que représentent les canons d’assaut est alors immédiatement capté par la Panzerwaffe pour lui sauver la mise au tournant des années 1942/1943 et lui permettre de surnager en 1944/1945. Ces canons d’assaut sont d’ailleurs vite transformés en chasseurs de chars à part quelques modèles spécifiques (StuH 42, Sturmpanzer IV ou Sturmpanzer VI). L’infanterie ne peut en définitive jamais bénéficier en nombre et en continu d’un appui digne de ce nom. Elle n’a donc que le sang de ses hommes et de leurs armes individuelles ou de groupe de combat à offrir en attendant que les grandes unités blindées s’épuisent à jouer les pompiers d’un secteur en crise à un autre.

Les Français comprennent plutôt bien cette dualité de rôle pour les chars et tentent de ménager les deux besoins. Mais leurs divisions blindées (Divisions Cuirassées ou Divisions Légères Mécaniques) ne sont pas assez souples d’emploi, manquent d’infanterie, d’artillerie et de soutien logistique. Tandis que les Bataillons de Chars de Combat ne sont jamais réellement engagés en appui, mais plutôt de façon esseulée ou, par mimétisme, hâtivement regroupés face aux divisions blindées allemandes dans des conditions d’emploi inadaptées.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la synthèse la mieux réussie est probablement celle apportée par les Américains grâce au versatile Medium Tank M4 Sherman dont le châssis est également décliné en Tank Destroyer et en canon automoteur. Un choix industriellement gagnant et qui permet une grande souplesse sur le terrain. Chaque division d’infanterie américaine bénéficie peu ou prou en permanence de l’appui d’un Tank Battalion et d’un Tank Destroyer Battalion. Un cocktail qui sera un atout majeur en Normandie jusqu’au dénouement de l’opération Cobra et de la victoire dans les Ardennes.

L’homogénéité américaine entre la doctrine et le matériel est ainsi mise en avant par le très intéressant article composé d’un rapport paru américain début 1946. Rédigé par un officier vétéran de la 4th US Armored Division, Albin IRZYK, c’est un plaidoyer pro domo sur le char qui symbolise la victoire américaine en Europe. De quoi relativiser quelque peu une historiographie devenue par la suite souvent bien trop admirative de la technicité allemande, par effet de répétition et par manque d’esprit critique.

Les choix opposés entre Américains et Américains concernant la répartition des chars est particulièrement bien visible dans l’ordre de bataille et les conditions de combat dans A Time for Trumpets.

Se concentrant essentiellement sur un récit opérationnel, l’historique de la 1. Panzer-Division a le mérite de valoriser une unité qui passe généralement sous les radars de l’historiographie. Même sa traversée de la Meuse à Sedan n’est pas particulièrement mise à son crédit contrairement de celui de la 7. Panzer-Division un peu plus au nord. L’article pourrait cependant davantage saisir l’opportunité d’illustrer l’impact des transformations des divisions blindées allemandes et renvoyer aux études thématiques parues dans les différentes parutions des Editions Caraktère.

Sortant un peu des habituelles grandes batailles de la fin de la Seconde Guerre mondiale, Loïc BECKER propose également un récit de la poche de Halbe qui se déroule en parallèle de la bataille de Berlin et donc souvent occultée par cette dernière. Se basant sur de nombreux témoignages, dont celui de Hans von LUCK dans ses mémoires, il rend compte de l’intensité des combats qui s’y déroulent et des conditions dramatiques pour les populations.

Complément idéal à l’article sur la poche de Halbe, Die Panther-Abteilung “Brandenburg” 1945 une ihre Vorgeschichte als I. abt. Pz.Regt. 26 offre un éclairage détaillé des combats de la Panzergrenadier-Division Brandenburg pour rejoindre l’Elbe.

Ce numéro, réellement très riche et varié, propose aussi deux articles sur les chars d’avant 1939. L’un concerne les chars récupérés par les Allemands et retournés contre leurs anciens propriétaires durant la Première Guerre mondiale (voir aussi Iron Cross7). L’autre se penche sur les chars soviétiques durant la Guerre d’Espagne qui représente un terrain d’expérimentation grandeur nature pour les Soviétique au même titre que pour les Allemands avec la Legion Condor.

Le nec plus ultra est probablement l’article sur les Aggressors du Pacte de Varsovie, non dans les airs à l’instar de Top Gun, mais sur terre. De quoi soulever avec envie un voile sur les armées de la Guerre froide avec des clichés particulièrement originaux d’engins soviétiques traficotés pour leur donner une apparence américaine. Un peu dans les pas de la Panzer-Brigade 150 en quelque sorte…

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