Si elle n’est pas aussi dramatique que certaines années du XXème siècle, 2020 concourt cependant en bonne position dans la catégorie de l’année la plus imprévue. Les quelques perturbations dans les circuits de distribution et les retards en édition n’empêchent la publication continue de magazines et de livres sur nos sujets préférés. En fait, 2020 est plutôt une année particulièrement intéressante d’un point de vue historiographique !
2020, enfin la revanche de France 1940
Le thème probablement le plus marquant est probablement celui de la bataille de France en 1940. Si les célébrations des 80 ans de cet épisode sont réduites à la portion congrue, le dynamisme éditorial est par contre impressionnant. D’autant plus qu’il arrive à un moment où l’historiographie sur le sujet atteint enfin un certain degré de maturité.
Dans les ouvrages généraux, L’inexorable défaite de Jean-Yves MARY est assurément le pavé qu’il faut posséder aux côtés des autres livres de l’auteur aux Editions Heimdal. Davantage grand public, 1940, vérité et légendes de Rémy PORTE apporte une belle synthèse accessible à tous sans tomber les travers habituels ou les exagérations.
Les éditions universitaires ne sont pas en reste avec deux livres pointus sur des sujets très rarement abordés : La guerre inéluctable, les chefs militaires français et la politique étrangère, 1935-1939 et Les soldats de 1940, une génération sacrifiée. Bien écrits, ils demeurent largement accessibles et ouvrent des thèmes passionnants.
Dans la catégorie des albums, L’ouvrage de La Ferté, le drame oublié de mai 1940 ! est un formidable témoignage à la fois sur la Ligne Maginot et sur le sacrifice des soldats français. L’Armée de l’Air pas oubliée avec l’Encyclopédie des avions de bombardement français.
GBM s’est montré plus qu’à la hauteur de l’anniversaire en nous gratifiant de trois numéros exceptionnels (132, 133 et 134). Ce dernier est LA synthèse à posséder absolument sur Charles de GAULLE avant l’appel du 18 juin 1940 (bien plus accessible au grand public que le livre universitaire Charles de Gaulle et l’irruption hitlérienne). Le résultat dépasse très largement les attentes. Une consécration de plusieurs décennies de travail.
Et c’est sans compter sur un certain nombre de publications à compte d’auteur ou par des éditeurs locaux…
Enfin, et c’est plutôt le commencement, Jean-Yves LE NAOUR revient sur l’imbroglio du dénouement de la Première Guerre mondiale dans 1919-1921, sortir de la guerre. Indispensable pour comprendre la complexité du décor qui se plante. Une leçon également a méditer sur des guerres contemporaines à clôturer. Vaincre sur le champ de bataille n’est pas gagner la paix, exercice hautement complexe.
Il n’y a plus qu’à continuer sur la lancée !
Allemagne 1945, l’occasion ratée
Dans les anniversaires, celui du soixante-quinzième de la défaite de l’Allemagne aurait pu être celui d’un certain renouveau historiographique. Les champs de bataille sont nombreux. Les combats durent encore quatre mois pleins. Pourtant, à part quelques généralités sur Berlin, le Rhin et la Ruhr, rien de bien sensationnel. C’est en lisant Bloody Vienna, Die Panther-Abteilung “Brandenburg”, Fortress Budapest ou encore d’autres livres en allemand qu’apparaît la pauvreté historiographique francophone sur la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Sans parler de l’immédiat après-combat (gestion des prisonniers allemands, rapatriement des anciens prisonniers, déportés et travailleurs du III. Reich, nettoyage des zones de combat, reconstruction, etc.) où là c’est le quasi désert.
Témoignages et biographies
C’est avec plaisir que certains témoignages sont enfin traduits en français ou réédités plusieurs décennies après leur parution. Les Editions Perrin continuent ainsi à proposer régulièrement d’anciens classiques. C’est l’occasion de les relire avec un regard plus mûr (les mémoires de von CHOLTITZ par exemple) ou de les découvrir tout simplement (comme celles de Hans BAUER).
Il faut malheureusement déplorer beaucoup d’écrits d’inspiration germanique, rédigés a posteriori souvent avec l’œil complaisant des vainqueurs occidentaux, tolérant voire favorisant au nom de la Guerre froide, un certain nombre de tentatives de réhabilitation ou d’auto-justification des vaincus. Overlord Press nous propose heureusement les mémoires de Lioudimila PAVLITCHENKO. Un monument en plus d’être un régal de lecture.
La biographie à ne pas rater en 2020 est celle de von RUNDSTEDT, Le maréchal oublié. Omniprésent tout au long de la guerre, il ne passe enfin plus sous les radars historiographiques grâce à Laurent SCHANG.
Raretés
Dans les publications plus confidentielles, certaines méritent d’être davantage diffusées. Ainsi Militaires en résistance apporte d’intéressants éclairages sur les attitudes françaises mais aussi italiennes dans les moments critiques (1940, 1942 et 1943).
La traduction du livre de Roger MOORHOUSE, Le pacte des diables, est également une opportunité pour les lecteurs francophones de se replonger dans le jeu trouble, mais assurément gagnant, de l’URSS de 1939 à 1941.
Dans un autre style, l’album Nebeltruppen dévoile dans le détail un aspect peu connu de l’artillerie allemande avec ses lance-fusées, ancêtres des lance-roquettes multiples au même titre que leurs homologues soviétiques.
Magazines spécialisés dans la tourmente
Pénalisés par un noyau de lecteurs se réduisant, des coûts exponentiels et des difficultés dans leur distribution, les magazines spécialisés sont à la peine, sans compter la crise sanitaire. 2e Guerre Mondiale n’est plus et sa ligne éditoriale se trouve absorbée par Batailles. Choix logique et rationnel, mais qui illustre bien les contraintes du marché. Dans un autre domaine, AceS tire également sa révérence tout comme Submarine.
Si la forme est souvent constante, le fond ratatouille régulièrement. Les reprises d’articles anciens ne se comptent plus avec le sempiternel défaut de ne jamais être annoncées. Cela peut cependant se concevoir pour certaines études particulièrement intéressantes qui ne sont plus accessibles ou qui peuvent bénéficier de nouveaux compléments. Encore faut-il en expliquer le pourquoi. Alors que sur de très nombreux sujets il apparaît nécessaire de renouveler le regard historique, ce sont les mêmes sources secondaires qui sont reprises article après article. De quoi lasser même les plus passionnés. Idem pour certains fonds iconographiques. Les clichés des archives américaines sont en effet gratuits et occupent à bon compte des pages et des pages. Problème : vu le prix unitaire des numéros et des abonnements, l’exigence des lecteurs s’accroît en proportion.
La “French touch” peut ainsi sembler menacée sur son propre territoire, non par la qualité de sa forme qui fait sa force depuis une vingtaine d’années, mais par la difficulté de renouveler le fond, conséquence également de l’offre pléthorique qui alimente le marché depuis les années 1990. Et pourtant, il y en a à explorer et à découvrir, y compris sur les batailles qui génèrent le plus d’articles et de livres. A cet égard, Iron Cross apporte un dynamisme bienvenu dans ses sujets et son approche qui n’est pas sans rappeler GBM. Seul petit hic, il est écrit en anglais. A titre personnel, ce n’est pas un problème, mais cela en interdit l’accès à nombre de lecteurs uniquement francophones.
Des raisons d’espérer !
Outre GBM déjà cité, cela n’empêche d’avoir des raisons d’espérer. 39/45 Magazine hors-série Historica nous gratifie ainsi en 2020 de deux tapuscrits présentant les faits dans “leur jus” d’époque et amenant des éléments inédits. De quoi rêver d’avoir d’autres ouvrage de ce style qu’ils soient d’origine allemande mais aussi (voire surtout) française, britannique, italienne, américaine, etc.
La palme au renouvellement dans la continuité revient à LOS ! le magazine de la guerre navale. Se risquant hors du champ habituel du XXème siècle, il permet de renouveler les sujets et d’ouvrir de nouvelles perspectives historiques. Sans oublier ses chroniques d’actualité qui sont bien plus que de simples brèves d’information.
Normandie et Ardennes 1944, block busters éternels ?
La bataille de Normandie continue d’alimenter les bacs des libraires et des maisons de la presse. Mais là aussi, il est difficile de sortir des éternels reformatages des historiques officiels américains ou des toujours mêmes unités et combats des divisions blindées de la Waffen-SS engagées sur ce front. Les sources britanniques demeurent encore très largement sous-exploitées dans l’historiographie francophone (ce constat n’est pas valable uniquement pour la Normandie), alors qu’elles tempèrent notoirement une vision essentiellement basée sur le prisme américain. La publication de l’album Fontenay-Rauray chez Maranes Editions témoigne du travail qui peut être effectué et de son intérêt historique en pondérant la vision des différents belligérants.
A noter que 2020 voit la publication d’une seconde revue spécialisée sur la bataille de Normandie… Si l’abondance de l’offre peut satisfaire à court terme les passionnés, il faut néanmoins se poser la question de savoir si cela ne va tuer la poule aux œufs d’or d’autant plus si le renouvellement historiographique n’est pas au rendez-vous.
Sur la bataille des Ardennes, l’historiographie semble enfin quelque peu bouger. Depuis la publication des livres de Henri CASTOR, il est difficile d’avoir une vision assez globale des combats et qui ne soit pas la reprise des historiques américains d’après-guerre. C’est du côté de la Wallonie, les locaux de l’étape, que cela semble frémir bien sûr la suite des parutions de Mook 1944 mais la parution de nouveaux livres de Hugues WENKIN qui synthétisent des tendances déjà présentes dans ses écrits sur le sujet. Après les découvertes des combats sur la Meuse en 1944 (Sur les traces du I. SS-Panzerkorps de la Normandie aux Ardennes), c’est le début d’une série de livres qui commence très fort avec Bataille des Ardennes, tome 1, Bastogne, la percée allemande.
Vœux 2021
Alors, que souhaiter pour 2021 ?
Le premier vœu est assurément d’avoir un secteur qui se porte économique bien. Car sans acteur économique en forme, point de quoi satisfaire notre passion et combler nos soifs de curiosité. Pour y arriver, un mélange de rationalisation et d’élargissement des spectres est probablement nécessaire. GBM et Iron Cross montrent le chemin. Tout l’enjeu est d’attirer de nouveaux passionnés avec une entrée de gamme attirante donnant progressivement les clefs nécessaires de compréhension donnant envie d’aller vers des supports plus spécialisés. Tout en alimentant les plus anciens grognards largement abreuvés déjà d’une production de qualité inégale mais pléthorique.
En clair, payer 7€ par numéro (voire 12€ pour des numéros hors-série) pour relire des textes peu ou prou similaires agrémentés des toujours mêmes photos n’est plus possible. Pour le portefeuille des lecteurs et tout simplement pour le maintien de l’intérêt des passionnés, garant de la pérennité économique de la filière.
Nous suivrons bien entendu les projets des Editions Caraktère et d’Overlord Press qui ne manquent pas d’ambition, sans oublier la suite prometteuse des ouvrages chez Weyrich.