Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)

L’équipe éditoriale animée par Jean LOPEZ et Olivier WIEVIORKA proposent d’analyser vingt erreurs considérées comme les plus grandes de la Seconde Guerre mondiale. L’exercice est périlleux car il concerne aussi bien le conflit en Europe qu’en Asie et dans le Pacifique. Le spectre est large et donc le choix cornélien. Il y aura toujours débat sur les vingt thèmes retenus, mais ils ont le mérite d’être proposés et de pointer du doigt certains moments et certaines décisions.

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D’une lecture aisée, même pour des novices, chacun des thèmes abordés est bien construit. Un résumé de trois / quatre pages introduit le débat de façon plutôt factuelle. La relative brièveté de chacune des entrées en fait un livre qui peut se picorer en fonction de ses centres d’intérêt ou se lire d’une traite grâce à un style plutôt dynamique. Les habitués du duo des directeurs de la publication retrouvent la forme des Mythes de la Seconde Guerre mondiale parus cinq ans auparavant.

Certains chapitres sont originaux, voire audacieux comme celui sur l’invasion de la Chine par le Japon, celui sur la bataille de Singapour ou encore celui sur le débarquement en Afrique du Nord dont l’intérêt est clairement remis en cause.

D’autres sont bien plus usuels (politique d’apaisement avant guerre avec le III. Reich, Stalingrad, Midway).

Quelques uns questionnent sur leur contenu ou tout simplement leur thématique. Inclure Monte-Cassino dans les erreurs stratégiques alliées est plutôt culotté de prime abord. Pourtant, la question est pertinente sur la perception des populations et des États après-guerre quant à la main peu lourde employée par les alliés occidentaux. Un sujet loin d’être anecdotique quand on voit les impacts que peuvent avoir les dégats collatéraux dans des conflits asymétriques ou très fortement médiatisés. Cela dit, mis à part quelques frustrations et récriminations, les alliés échappent globalement à l’opprobre. La comparaison n’est rien à côté du niveau de crimes et atrocités menés par le III. Reich et ses représentants. Si les destructions de Monte-Cassino, du Havre ou de Dresde paraissent des erreurs tant militaires que morales, l’impact reste néanmoins assez mesuré au point de passer finalement dans les pertes et profits de la lutte contre le nazisme.

Certaines rubriques introduisent des concepts particulièrement intéressants. Il en va ainsi de celui sur l’armistice de juin 1940. La question n’est pas tellement de savoir si la bataille de France est perdue (à l’évidence oui) et si la lutte est encore possible, en métropole ou dans les colonies (à l’évidence non). Mais de la forme que doit revenir cet arrêt des combats (capitulation uniquement militaire ou armistice politique). Voilà le débat enfin bien posé !

Le chapitre consacré à la manœuvre Dyle-Breda est également une avancée pour le grand public. Car la finalité de l’opération est loin d’être stupide et ne peut être considérée comme une bévue de l’état-major français. Ce qui cloche, ce n’est cependant pas tant le nombre d’unités engagées qui prive la France d’une réserve mobile, mais bien la vitesse de projection. L’erreur stratégique est de ne pas avoir pensé à récupérer dès les premières heures les points de passage sur la Meuse et le canal Albert à partir du fort d’Eben-Emael en remontant vers l’aval. A l’inverse, les Allemands se donnent les moyens de prendre les points de passage clefs dans les toutes premières minutes de Fall Gelb (voir l’Attaque silencieuse ou Les commandos du Reich, tome 1). La question n’est pas d’être un pont trop loin, mais bien un pont trop court pour tirer tous les avantages opérationnels et stratégiques de la manoeuvre. L’impossibilité de ralentir puis de contrecarrer la percée allemande sur la Meuse inférieure est une autre erreur dont le point commun est le manque de punch et d’innovation face à un adversaire qui fait le plein dans ces deux domaines.

Autre chapitre excitant, celui sur le Haltbefehl devant Dunkerque. La capture ou l’évacuation du BEF n’a pas beaucoup d’impact dès lors que l’invasion de la Grande-Bretagne n’entre pas réellement dans les plans nazis. Par contre, la menace de vouloir contre-attaquer pour couper le corridor est plus sérieuse. L’exemple de Montcornet est un lieu malheureusement trop commun et ne peut être considéré comme une menace réelle (voir GBM134). Les tentatives autour de Cambrai, d’Arras combinées aux tentatives à partir de la Somme sont plus élaborées et potentiellement plus dangereuses. Las, elles accouchent finalement d’une souris du fait de l’impossibilité de pouvoir les monter correctement. Mais la vision de von Rundstedt (voir Le maréchal oublié) n’est donc pas dénuée de tout fondement. Le temps laissé aux troupes blindées et motorisées permet de mettre à mort ensuite rapidement la France avec Fall Rot. Leur utilisation à Dunkerque n’aurait nullement accéléré le processus de désagrégement de l’armée française.

Utile, le chapitre sur l’insurrection de Varsovie en 1944 rappelle que l’Armée Rouge n’est pas en mesure de secourir militairement les insurgés du fait de la contre-attaque de Walter MODEL (voir Août 1944, la 2e Armée blindée soviétique devant Varsovie, in 39/45 Magazine n°362) et que les Polonais sont défaits. Reste néanmoins, l’obstination intéressée de STALINE de ne pas autoriser l’aide aérienne anglo-américaine ou bien tardivement…

La question des bombardements stratégiques et de la capitulation inconditionnelle du III. Reich sont intimement liées dans leur approche et leur cible (la population civile est explicitement visée). Sur la question de la terreur qui s’abat sur les centres industriels et urbains de l’Axe, qui se termine par l’apothéose nucléaire sur le Japon, la question morale mérite bien entendu d’être soulevée. Force est de constater qu’elle ne provoque ni l’effondrement des pays visés, ni un mouvement massif de réaction après-guerre contre les Alliés occidentaux – à l’inverse de l’impact des bavures de ces dernières années dans le cadre des opérations militaires en Afghanistan, en Irak mais aussi déjà lors des interventions dans les Balkans dans les années 1990. Les bombardements contre l’Allemagne ont cependant un impact opérationnel concret. Non seulement ils détournent d’importants moyens matériels et humains allemands alors que le III. Reich n’a déjà pas assez de moyens pour satisfaire ses besoins sur tous les fronts, mais la Luftwaffe est saignée à blanc, permettant à la toute puissance aérienne alliée de régner en maître au-dessus des champs de bataille dès le Débarquement en Normandie. La question de l’attitude de l’Armée Rouge dans sa campagne de “libération” à l’Est n’est malheureusement pas évoquée. Certes, elle ne s’est pas sali les mains dans les bombardements stratégiques… Pourtant, le sujet impacte encore indirectement la construction européenne et les différences d’appréciation entre les nations de l’Est et celles de l’Ouest vis-à-vis de la lecture de la Seconde Guerre mondiale et d’un certain nombre d’enjeux d’actualité (Russie, immigration, politique économique).

Concernant les opérations à l’Ouest en 1944, le livre se concentre, évidemment, sur l’opération Market-Garden. Si globalement l’analyse est censée, c’est en fait toute l’approche anglo-américaine de la fin du conflit qu’il faudrait prendre en compte. Et la question n’est plus tellement la chute du III. Reich, dont il ne fait aucun doute que ses jours sont désormais comptés, mais de l’après.

Le grand vainqueur de la Seconde Guerre mondiale apparaît en effet Joseph STALINE pour l’URSS. Opportuniste, il noue une alliance improbable avec Adolf HITLER avec le pacte germano-soviétique dont il profite à plein en 1939 et 1940. Les bases de son expansion sont jetées, les Alliés confirmant les gains territoriaux gagnés lors de l’alliance avec le III. Reich et bien plus encore. Son aveuglement en 1941 est bien sa seule erreur : elle coûte très cher à son pays d’un point de vue économique et humain, mais elle donne le temps aussi aux Américains d’entrer dans le jeu européen. Seul Winston CHURCHILL a la lucidité nécessaire pour élaborer une vision stratégique qui dépasse les seuls intérêts de la Grande-Bretagne. Après s’être opposé au communisme, il apporte son soutien à l’URSS dès le déclenchement de l’opération Barbarossa. Là aussi, de façon très opportuniste, mais sans aucune illusion sur la suite. Les deux grandes puissances, URSS et Etats-Unis sont “condamnées” à se partager la gâteau européen à défaut de pouvoir s’imposer seules.

Un livre donc intéressant, facile à lire, qui a le mérite de prendre quelques positions courageuses. Cependant, ce type d’exercice est par nature limité. Il met par contre en évidence l’effet très clausewitzien des actions-réactions qui s’accompagnent des inévitables frictions. Dans ce bas monde, tout est relatif et dépend du point de vue pris (géographique et temporel). Une leçon historique utile à rappeler en ces temps où il est facile de jeter l’opprobre sur les anciens. Le but de l’Histoire est bien de comprendre l’enchaînement et les conséquences des décisions (individuelles et collectives).

Malgré quelques contributions étrangères, une fois le livre refermé, il reste encore le besoin décidément de plus en plus criant d’un réel regard croisé des grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiales vues par différentes nations. Confronter les réponses apportées par des Polonais, des Hongrois, des Russes, des Américains, des Italiens, des Chinois ou encore des Japonais serait véritablement passionnant, savoureux et véritablement novateur…

Sommaire :

  • Raphaëlle ULRICH-PIER, L’apaisement, une erreur, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Benoist BIHAN, L’invasion de la Chine, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Felix & Roman TÖPPEL, L’alliance de Hitler avec l’Italie, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Vincent BERNARD, La manoeuvre “Dyle-Breda” (10-15 mai 1940), un pont trop loin ?, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Jean LOPEZ, L’arrêt des panzers devant Dunkerque : une erreur irréparable de Hitler ?, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Olivier WIEVIORKA, L’armistice de 1940, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Hubert HEYRIES, L’intervention italienne en Grèce, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Jean LOPEZ, La surprise de Barbarossa, la surprise du plus fou, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Daniel FELDMANN, Ne pas capturer Malte, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Pierre GRUMBERG, Dieppe, le nadir des armes britanniques, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Benoist BIHAN, La défense de Singapour, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Olivier WIEVIORKA, Le débarquement en Afrique du Nord, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Benoist BIHAN, Midway : la mauvaise bataille au mauvais endroit, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Christian DESTREMEAU, Hitler et le Moyen-Orient, une occasion manquée ?, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Julie LE GAC, Le bombardement de Monte Cassino, une erreur stratégique et politique, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Jean LOPEZ, Stalingrad, la bataille qu’il ne fallait pas livrer, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Olivier WIEVIORKA, Le bombardement stratégique, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Nicolas STARGARDT, La capitulation inconditionnelle : erreur évitable ou condition préalable à la victoire alliée ?, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Jacek TEBINKA, L’échec de l’insurrection de Varsovie, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)
  • Nicolas AUBIN, “Market Garden” (septembre 1944) les dessous d’un magnifique “désastre”, in Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020)

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