Le pacte des diables (Buchet Chastel, 2020)

Un livre à mettre dans les mains de tous ceux qui enseignent l’Histoire.. et qui doivent l’apprendre. C’est une très bonne initiative des Editions Buchet Chastel que de publier en français cet ouvrage de Roger MOORHOUSE sur le pacte germano-soviétique. Le plus extraordinaire est qu’il n’y a pas de révélation à proprement parlé, mais juste le décalage de la focale habituellement en vigueur sur le déclenchement et les deux premières années de la Seconde Guerre mondiale. Apparaît ainsi une symétrie édifiante de l’expansionnisme et de la terreur à la fois nazi et soviétique. De quoi réévaluer en profondeur le conflit du début et à sa fin. Car à Yalta, l’URSS confirme et amplifie les gains territoriaux et son influence déjà obtenues dans son pacte avec le III. Reich ; en toute connaissance de cause des Alliés occidentaux où seul Winston CHURCHILL fait preuve de clairvoyance sans pouvoir imposer ses vues.

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L’auteur commence avec la négociation ultra-rapide et la conclusion pittoresque du pacte. Les deux régimes ennemis font fi de leurs divergences et de la haine qui les oppose pour affronter leurs ennemis jurés (les démocraties occidentales) qui représentent un obstacle dans leur deux volontés hégémoniques sur l’Europe. Les parties en tirent de confortables bénéfices, même s’il ne faut pas se demander à la lecture des pages si l’URSS n’est finalement pas le plus grand bénéficiaire du pacte et des accords qui s’en suivent.

Il ne suffit pas de conclure une alliance contre, faut-il encore la mettre en musique. Le III. Reich joue sur sa panoplie propagandiste et sa censure. L’URSS y ajoute ses réseaux du Komintern en s’appuyant sur les partis communistes des différents pays. Le revirement n’est cependant pas aisé à expliquer et à faire passer. De nombreux communistes s’y opposent à titre individuel. Mais il n’en reste pas moins que les instances finissent toutes par soutenir et cautionner l’alliance avec le III. Reich, les conséquences territoriales qui s’en suivent et l’attitude plus qu’ambigüe vis-à-vis du III. Reich dès lors que la guerre est déclarée avec la Grande-Bretagne et la France, sans parler des opérations de mai et juin 1940 (à titre d’exemple, lire Pierre Héring, un général anticonformiste avec Pétain et de Gaulle et plus particulièrement les chapitres consacrés à sa fonction de Gouverneur Militaire de Paris et l’attitude des communistes). Cette tâche indélébile qui participe à l’effondrement de la France en 1940 la laissant isolée sur le continent européen et sapant un peu plus plus un intérieur déjà fragilisé est pourtant passée aux oubliettes de l’Histoire. Dans le roman national post-1945, ne doit rester que l’image du parti résistant et que l’image de la France combattante gaulliste. Les autres sensibilités doivent disparaître de l’Histoire officielle. Quatre-vingt après les faits, cela n’a guère bougé mis à part une certaine réhabilitation des soldats français de 1940.

Le récit est également passionnant quand il relate les tensions qui progressivement se mettent en place. Car le pacte repose sur un non-dit. En fait, les deux ont les mêmes ambitions territoriales et veulent s’imposer sur l’Europe, au moins une partie. Le problème est qu’une grande partie d’entre elle se situe entre les deux puissances et les Balkans. Des zones qui sont convoitées par les deux. Les efforts du III. Reich pour détourner l’attention de l’URSS vers l’Asie au lieu de l’Europe restent vains. L’ambition hégémonique soviétique reste avant tout centrée sur l’Europe. La victoire de 1945 lui permettra de réaliser cette ambition avec l’aval cette fois des Alliés occidentaux.

Les dernières pages fournissent aussi des clefs pour comprendre le basculement de l’attitude allemande qui aboutit à l’opération Barbarossa et à l’aveuglement de Joseph STALINE devant la menace qui grandit de jour en jour.

Bref, un livre indispensable à la compréhension de la Seconde Guerre mondiale dans sa dimension européenne qui permet de comprendre l’actualité ainsi que le ressenti des pays de l’Est qui sont les premières victimes du pacte germano-soviétique et de la caution alliée octroyée en 1945.

Une lecture à prolonger avec First to Fight du même auteur mais également l’Europe barbare de Keith LOWE qui décrit les conséquences humaines des accords de Yalta et de l’attitude communiste qui est identique à la sienne de 1939.

Sommaire :

  • Note de l’auteur
  • Chronologie
  • Remerciements
  • Introduction
  • Prologue : rencontre sur la frontière de la paix
  • Chapitre 1 : Philtre infernal
  • Chapitre 2 : Liés par le sang
  • Chapitre 3 : Partage des dépouilles
  • Chapitre 4 : Contorsions
  • Chapitre 5 : Une cour rude et incertaine
  • Chapitre 6 : Huiler la machine de guerre
  • Chapitre 7 : Le camarade « cul de pierre » dans l’antre de la bête fasciste
  • Chapitre 8 : Chevaucher le tigre nazi
  • Chapitre 9 : Pas d’honneur chez les voleurs
  • Epilogue : la vie après la mort
  • Appendice
  • Bibliographie
  • Notes
  • Index

2 réflexions sur « Le pacte des diables (Buchet Chastel, 2020) »

  1. Interessant, il faudra que je me le procure.
    L’auteur aborde-t-il tous les autres non dits sur cette affaire ?
    Les responsabilités des élites françaises et britanniques sur l’échec d’un rapprochement entre les démocraties occidentales et l’URSS ?
    Les responsabilités polonaises dans la même perspective,pour contrer le III. Reich ?
    Les impératifs géostratégiques et militaires de l’URSS lui imposant ce rapprochement contre nature pour fourbir ses armes ?
    Et met il tout cela en lien avec le rapprochement germano-soviétique ?
    Si la volonté de Staline d’étendre son influence sur l’Europe à la moindre occasion n’est plus à démontrer (du moins pour les initiés), il est aussi à relativiser par toutes ces questions.
    Il y a depuis quelques années une volonté de certains de se dédouaner de certaines responsabilités dans le déclenchement de la SGM en mettant tout sur le dos de l’Allemagne nazie (pratique, elle a disparue), et de l’URSS (dont on présente la « Russie de Poutine » comme une simple extension de l’URSS). Or un tel événement est bien plus complexe et multifactoriel (comme tout fait historique). C’est encore une histoire polémique et le débat serein ne se fait que si il embrasse absolument tous les facteurs…
    Le Pacte gérmano-soviétique, pour autant qu’il soit un prétexte immédiat au déclenchement du conflit, n’est pas pour autant une cause profonde de la Seconde Guerre mondiale… Ce me semble.

    1. Le livre est très centré sur la relation germano-soviétique. L’attitude britannique n’est que légèrement abordée.
      Les péripéties des relations polonaises avec ses voisins, dont l’URSS durant l’entre-deux-guerres ne sont pas évoquées. L’ouvrage commence directement sur la négociation du pacte.
      Sa valeur ajoutée me semble surtout être l’accent sur la symétrie des atrocités commises par les deux régimes et l’expansionnisme des deux alors que nous (Français) avons tendance à oublier l’attitude soviétique en étant naturellement trop focalisés sur les événements de mais/juin 1940. L’accumulation des griefs entre les deux partenaires dès la conclusion du pacte jusqu’au déclenchement de l’opération Barbarossa est passionnante.
      Dans tous les cas, il éclaire les débats actuels entre la Russie, ses anciens voisins et ses anciennes républiques notamment baltiques. Et comme chacun peut avoir des griefs contre l’autre, les débats ne sont pas prêts de se terminer ! Il n’en reste pas moins que les massacres et les déportations restent des éléments factuels qu’il est quand même difficile de balayer d’un revers de manche.
      C’est en tout cas un bon rappel que l’histoire de la 2GM est pour le moins complexe et qu’il y a une césure dans les alliances avant et après le 22 juin 1941…

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