Science & Vie Guerres & Histoire n°56 (Reworld Media, 2020)

Tous les amateurs de la Seconde Guerre mondiale en Europe doivent lire ce numéro de Science & Vie Guerres & Histoire. Il contient en effet deux thématiques absolument passionnantes qui permettent de mieux appréhender quelques sujets pour le moins malmenés par l’historiographie habituelle.

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Le premier concerne la Pologne et les relations avec ses voisins, notamment l’URSS. Comme souvent, le sujet n’est ni tout noir, ni tout blanc, mais plutôt tout en nuances. S’il ne fait aucun doute que ce pays soit bien envahi en 1939 à la fois par l’Allemagne puis par l’URSS selon les termes du pacte germano-soviétique, il faut remonter à la fin de la Première Guerre mondiale pour comprendre les tenants et la aboutissants de cette alliance en apparence contre nature.

Lors de la création de la Pologne, se pose, comme pour la France au même moment (cf. 1919-1921, sortir de la guerre), la question des frontières de référence à prendre en compte pour la délimitation des frontières. Mais contrairement à la France, la toute jeune Pologne n’hésite pas à prendre les armes pour pousser son avantage en profitant de l’état de délabrement du voisin russe qui peine à sa sortir de sa révolution bolchevique : c’est guerre peu connue qui éclate. La paix qui en naît nourrit un sentiment de revanche chez les Soviétiques qui ne peuvent que profiter de l’offre nazie pour assouvir leur volonté de rétablir le contrôle sur des territoires autrefois dominés par les Tsars. La Pologne n’est que l’apéritif, les pays baltes, la Bessarabie et la Bucovine du Nord suivent. La redéfinition des frontières après 1945 entérinera ce partage en compensant les territoires perdus par la Pologne par ceux pris par effet de domino à l’Allemagne.

Le dossier met en lumière également les qualités polonaises pour déchiffrer les codes adverses, une tradition qui sera également de mise lors de la Seconde Guerre mondiale puisque le perçage des secrets d’Enigma et donc la naissance d’ULTRA leur doit beaucoup. Un petit encart revient également sur le rôle réel de mission française pilotée par Maxime WEYGAND en Pologne.

Les lieux des combats ne sont pas inconnus des connaisseurs de la Seconde Guerre mondiale, ni certains noms. Cela donne des clefs pour mieux comprendre certaines actions ou réactions une vingtaine d’années plus tard.

L’autre élément incontournable de ce numéro concerne l’article rédigé par Roman TÖPPEL (auteur de l’incontournable Koursk, 1943) à propos de Heinz GUDERIAN. De quoi remettre les pendules à l’heure de l’un des plus importants hold-ups historiographiques de l’après Seconde Guerre mondiale. En effet, ne se comptent plus les ouvrages et articles qui s’appuient aveuglément sur les mémoires du général allemand (ce n’est pas le seul exemple, il en est de même aussi pour les écrits d’Erwin ROMMEL). D’où l’impression qui ressort qu’il est le père incontesté et incontestable de l’arme blindée allemande, que le franchissement de la Meuse à Sedan est tant mis en avant dans le récit de mai/juin 1940 (alors que le front se déchire en fait sur une centaine de kilomètres le même jour) ou que la bataille de Kiev est considérée comme une erreur stratégique qui empêche la Heeresgruppe Mitte d’atteindre Moscou à temps et de gagner la guerre en URSS.

Brillante démonstration que Heinz GUDERIAN n’est pas le primo inventeur de la Panzerwaffe sans pour autant lui ôter un rôle essentiel (mais non exclusif) dans son évolution et son emploi opérationnel à partir de 1939. On ne peut que faire le parallèle avec Charles DE GAULLE, lui aussi auteur d’un livre avant-guerre sur le sujet mais dont l’impact et le rôle sont survalorisés après la Seconde Guerre mondiale gommant ainsi des situations beaucoup plus complexes et laissant dans l’ombre des acteurs pourtant bien plus moteurs et méritants (voir ainsi De Gaulle responsable du rejet de la force mécanique autonome ?, in GBM n°133).

L’intérêt de ce numéro ne se résume pas non plus à ces seuls articles avec une mention spéciale sur la biographie de John PERSHING, l’interview d’un volontaire français au combat aux côtés des Kurdes ou l’article frappant sur Vukovar en 1991 qui rappelle comment les situations peuvent vite dégénérées. Décidément, l’Histoire est très loin d’être terminée et la paix universelle qu’une douce illusion, en 1918 comme en 2020.

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