De Gaulle, portrait d’un soldat en politique (Perrin, 2020)

Charles DE GAULLE est assurément un personnage clivant (pour reprendre une expression contemporaine). Et les ouvrages qui lui sont consacrés depuis maintenant des décennies sont généralement glorificateurs ou à charge. Il faut dire que l’homme n’est pas commode et que son époque est marquée par quelques tragédies qui façonnent notre monde : la défaite de 1940, la victoire de 1945, le déploiement de l’arme nucléaire ou encore la guerre d’Algérie. Quatre-vingt ans après 1940, soixante-quinze après 1945, le recul de l’Histoire permet enfin de prendre un peu de hauteur et de regarder plus objectivement l’impact et les conséquences des décisions de « l’homme du 18 juin ». Exercice réussi.

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D’emblée, ce qui accroche dans le titre, c’est la mention « portrait d’un soldat en politique ». Le personnage est en effet un hybride. Militaire de carrière, il n’en plonge pas moins dans la politique, et ce bien avant 1940. Toute sa vie, ces deux notions sont intimement mêlées.

Sur le fond, Jean-Paul COINTET s’attache à brosser un portrait complet du héros de sa biographie. Par chance, les écrits et les témoignages abondent. Il y a donc matière à travailler, à recouper, à mettre en lien… à condition de synthétiser. Ce qui est bien fait. Le texte part de sa jeunesse et va jusqu’à la fin des années 1960. Autant dire que le monde s’est totalement transformé dans ce laps de temps. Globalement, le livre est divisé en trois tiers : avant 1939, 1939/1945 et après 1945. Un bon équilibre.

Sans porter de jugement, l’auteur fait un portrait tout en relief du « Général » et replace ses décisions dans leur contexte, ne cachant ni les zones d’ombre, ni les faits les plus éclatants.

Il faut dire que Charles DE GAULLE a un caractère exécrable. Il fait partie de ces leaders particulièrement insupportables et pénibles qui s’imposent non par leur capacité à fédérer autour d’eux mais à s’imposer coûte que coûte. Il fut peu sympathique aux yeux de ses contemporains. Sa volonté de représenter seul la France à partir de 1940 conduit à des choix qui pèsent encore très lourd sur le plan de politique interne et externe française. La conclusion du livre est d’ailleurs subtile, laissant à chaque lecteur se faire sa propre idée du bilan – l’exercice était périlleux ! Les annexes sont à lire impérativement. Encore une fois, pas de jugement, mais de la matière à réfléchir.

En refermant ce livre, un réflexion m’est venue. DE GAULLE est-il vraiment un soldat en politique ou finalement n’a-t-il été toute sa vie qu’un politique (au sens noble du terme) tombé dans l’armée justement par dessein politique ? Car tous ses actes sont portés par une certaine vision de la France et de son positionnement international. Il est souvent fait mention du génie précurseur de DE GAULLE à propos de l’arme blindée et de la mécanisation, mais un précurseur qui n’a pas été écouté. Le livre le souligne parfaitement, ses écrits sont davantage des concepts généraux à une époque où la réflexion existe avec ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Si contrairement à d’autres (voir par exemple Pierre Héring, un général anticonformiste avec Pétain et De Gaulle), il a laissé des écrits grand public car justement il a une fibre plus politique que militaire, il est bien incapable d’imposer réellement et pragmatiquement ses idées. De toute façon, son attitude en fait un repoussoir pour ses contemporains. En ce sens, il n’a pas aidé à l’éclosion sereine du concept de l’arme blindée. Il est d’ailleurs significatif qu’il se retrouve à la tête d’une division cuirassée alors que la cavalerie est bien plus en avance sur le sujet avec une organisation, des matériels et un concept qui sont bien plus proches de l’adversaire (voir GBM hors-série n°1GBM hors-série n°2GBM hors-série n°5).

Il n’en reste pas moins que Charles DE GAULLE est le seul à s’opposer à la déferlante de la défaite avec son fameux appel du 18 juin 1940. Probablement, seul un caractère tel que le sien pouvait accomplir une chose pareille à ce moment-là même si le refus de la défaite et la résistance se concrétisent de façon protéiforme. Son caractère et sa façon de s’imposer sont pour beaucoup dans l’image de la France que se font les Américains et les Anglais. Les alliances qu’il noue, les rivalités qu’il neutralise conduisent à des choix et à des décisions qui font la France d’après-guerre. Il a assurément façonné un chemin, il a réussi à faire asseoir la France à la table des vainqueurs et à lui assurer un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. C’était très loin d’être gagné en juin 1940. Il faut assurément lui en rendre grâce.

C’est probablement un livre qui peut réconcilier les pro et les anti DE GAULLE. En tout cas, c’est une contribution essentielle pour enfin dégager une historiographie apaisée de la France de cette époque, indispensable pour inventer de nouveaux schémas pour affronter le XXIème siècle et les enjeux qui lui sont propres.

Sommaire :

  • Introduction
  • La guerre attendue
  • L’école de la guerre
  • Un après guerre entre frustrations et ambitions
  • La « guerre » des blindés, du militaire au politique
  • La France libre ou la triple guerre
  • Du débarquement d’Afrique du Nord au Gouvernement provisoire, De Gaulle gagne la guerre des généraux
  • Le gaullisme de guerre à l’heure de vérité
  • Le gaullisme de guerre confronté aux réalités françaises et internationales
  • Un gaullisme par temps de guerre froide
  • La bombe contra la guerre et pour le rang, une consécration politique
  • Annexes
  • Notes
  • Sources et bibliographie
  • Index

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