Mook 1944 hors-série n°1 (Weyrich, 2019)

Très similaire sur la forme aux numéros réguliers de Mook 1944 (voir 1/2019 et 2/2019), ce hors-série est fondamental pour appréhender dans leur ensemble les ratés alliés après la bataille de Normandie. L’impossibilité de boucler à temps la poche de Falaise, l’échec de Market-Garden ou le coup de frein de Patton en Lorraine sont bien connus. Mais ces échecs ne sont pas les seuls et ne peuvent masquer les « autres » qui sont au moins tout aussi importants. Cela n’empêche de véritables succès tactiques, de longues chevauchées que seules les pannes d’essence arrêtent. Indispensable donc pour combler les trous historiographiques de la Libération.

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Charpenté autour de six articles principaux, il souligne tout d’abord la difficulté pour les Alliés de vaincre en Normandie avec un niveau important de pertes. La différence est que l’adversaire n’a pas les moyens de remplacer les siennes et que la rupture n’est qu’une question de temps. Lumineuse est l’explication de la bévue britannique sur la prise d’Anvers en oubliant de sécuriser l’estuaire de l’Escaut : l’échec de Market-Garden y trouve l’une de ses principales raisons pourtant trop souvent ignorée.

L’article sur la libération de Paris rappelle le mélange des enjeux militaires et politiques qui caractérise les luttes intestines fin août / début septembre 1944 chez les Alliés. Assuré de la victoire à court terme sur l’Allemagne nazie, chacun se recentre sur ses intérêts immédiats et la cacophonie n’en est que plus belle.

Brillant est l’article sur la chevauchée de PATTON qui jamais ne se pose la question de rejoindre les troupes qui remontent de Provence pour annihiler les 1. Armee et 19. Armee et s’en-tête à vouloir pousser vers la Sarre. Complément indispensable du Patton, la chevauchée héroïque du même auteur Benoît RONDEAU.

Les études sur la poche de Mons et la résistance allemande sur la Meuse sont également passionnantes et incontournables. Non seulement ces combats sont plus que minimisés ou absents dans les récits habituels, mais les localités citées symbolisent aussi le retour en arrière pour les Allemands : La Capelle, Landrecies, Avesnes-sur-Helpe, Philippeville, Dinant, Houx, Givet, Yvoir… Ces noms de victoire en 1940 ponctuent désormais le long chemin de croix de leur reflux vers les frontières du Reich.

Enfin, bien trop souvent absente de littérature francophone, la libération du territoire belge trouve ici une place qui lui revient.

Pour bien comprendre l’importance de ce numéro, il est nécessaire de sortir du seul prisme Occupation nazie / Libération. Certes, les Alliés sont bien les vainqueurs à l’Ouest en cette fin d’été 1944. Les chances de renverser la situation pour le III. Reich sont réduites à presque néant. En 1944 s’achève le cycle caractérisé par la volonté de domination « germanique » sur l’Europe qui germe au sortir des guerres napoléoniennes, éclate en 1870, se fourvoie en 1914/1918 et s’effondre à partir de 1942 après avoir touché son ultime apogée en 1941. En 1944, ce n’est plus tellement le risque allemand qui domine : sur les ruines du III. Reich progresse désormais le péril soviétique. Seul CHURCHILL appréhende correctement le danger, mais il n’a pas les moyens et la constance pour imposer ses vues : son pays est économiquement exsangue et ses armées à bout de souffle. Pire, Londres est de nouveau sous la menace des bombes allemandes, même si les V1 sont d’une fiabilité et d’une efficacité relatives. ROOSEVELT a déjà les yeux braqués sur les prochaines élections américaines, DE GAULLE ne pense qu’à asseoir sa légitimité en France et n’hésite pas à s’appuyer sur l’URSS et les communistes pour finir de s’imposer. Pourtant, les Alliés ne peuvent ignorer les agissements de l’URSS en 1939 (participation active au dépeçage de la Pologne – voir l’excellent First To Fight de Roger MOORHOUSE), la prise de contrôle des pays baltes, la guerre d’Hiver en Finlande et les volontés hégémoniques de STALINE. Le manque de discernement est similaire à celui qui préside à la conférence de Munich en 1938.

Cette myopie géopolitique et les intérêts divergents des différents protagonistes font que les choix faits en août et septembre 1944 ne sont pas les bons. Alors que les Alliés débattent sur la meilleure façon d’achever l’Allemagne en s’emparant du bassin industriel de la Ruhr, au regard du péril soviétique, il aurait mieux valu se concentrer sur la destruction du maximum de troupes allemandes à l’Ouest pour se porter au plus vite vers l’Est. Ultra motorisés, les Alliés sont également totalement dépendants de l’essence pour avancer. Étonnamment, l’enjeu allié n’est pas la concentration des forces pour battre l’ennemi mais la bonne concentration et utilisation des stocks d’essence qui sont alors limités.

La Ruhr qui devait tomber en septembre 1944 est capturée seulement en avril 1945 et ce sont les Soviétiques qui sont à Berlin fin avril 1945 en ayant fait main basse sur toute l’Europe Orientale : cruel résultat. Côté diplomatique, le retard pris en Normandie et les occasions manquées d’août et septembre 1944 se font sentir sur les conférences de Québec et de Moscou (un vaste sujet qui reste encore à explorer). Soixante-quinze ans plus tard, les conséquences de ces deux mois dans la physionomie de l’Europe sont toujours présentes.

Ecrit d’une plume alerte, très didactique, plaisant à regarder, ce numéro est à mettre entre toutes les mains, novice ou vieux grognard, amateur d’histoire militaire ou politique, passionné de la Seconde Guerre mondiale, de la Guerre Froide ou du XXème siècle.

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