Il est certes souvent évoqué… Mais rarement le combat urbain ou en zone confiné n’est à ce point disséqué que dans ce livre dont la version originale est ici complétée des batailles de Marawi, Mossoul et Alep. Pourtant, comme l’expliquent très bien les auteurs dans les premières pages, la guerre entre dans les villes depuis la Seconde Guerre mondiale, voire la Guerre d’Espagne, alors qu’auparavant elle s’arrêtait à l’extérieur ou devant ses remparts.
Il y a plusieurs raisons à cela. La planète devient évidemment de plus en plus urbanisée et il est parfois difficile dans certaines régions de trouver des espaces non densément peuplés. Mais plusieurs facteurs conduisent à amener aussi volontairement le combat en ville. Certains le recherchent car il nivelle les écarts technologiques : une aubaine pour ceux qui ne peuvent espérer vaincre en rase campagne. Certaines interventions se déroulent par nature en ville, comme celles qui ont trait au maintien de la paix ou au contrôle des populations. Dans ce cas, le soldat n’est plus uniquement un militaire qui combat un autre militaire et voit son rôle se complexifier.
A partir d’exemples historiques à chaque fois brièvement évoqués, un certain nombre d’enseignements sont tirés. L’approche est plutôt thématique, à défaut d’être chronologique. L’amateur d’histoire militaire ne peut être qu’impressionné par tout l’éventail de conflits qui ponctuent le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une mine de pistes à creuser pour les lecteurs ! Et certainement aussi pour les éditeurs afin de diversifier des sommaires de magazines par trop focalisés sur les mêmes sujets.
Les auteurs minorent aussi ouvertement la bataille de Stalingrad, pourtant considérée comme les “mère de tous les combats urbains”. Au-delà d’une certaine provocation pour piquer l’intérêt des lecteurs, le constat est à la fois vrai et moins vrai… En effet, si les Allemands échouent à s’emparer de la ville sans coup férir, c’est qu’ils ratent leur approche. Et si les Soviétiques encerclent la 6. Armee, c’est grâce à une opération en tenaille sur les ailes, bien loin du centre-ville. Cependant, les combats au cœur de la cité et dans les complexes industriels annoncent clairement un certain nombre de caractéristiques qui sont toujours en vigueur et qui poussent aujourd’hui les armées à se doter de centres d’entrainement et d’unités dévolus exclusivement au combat urbain. Une spécialité est née.
Ce livre montre également comment la préparation et le soin apporté aux troupes évoluent dans les armées occidentales. Dès lors que le niveau des pertes s’est considérablement réduit, surtout dans les conflits asymétriques, la prévention psychologique est devenue une priorité. Non pas qu’elle n’a jamais existé – l’épuisement nerveux des soldats et des chefs est une réalité aussi vieille que la guerre – mais elle est une priorité car elle représente le premier taux de pertes dans les unités – un soldat qui n’est plus psychologiquement en état de se battre est aussi inutile qu’un blessé ou un mort. En effet, compte tenu de la dimension des armées modernes professionnalisées, la crise des effectifs peut vite arriver.
Il s’agit donc d’un livre qui peut intéresser de très nombreuses catégories de lecteurs. Les militaires bien sûr, les amateurs d’histoire militaire évidemment même si ce n’est pas une encyclopédie ou une anthologie des combats urbains. Mais pas seulement. Tous ceux qui souhaitent comprendre les défis auxquels sont confrontés nos armées aujourd’hui et mieux appréhender les actualités des conflits contemporains doivent s’y plonger. Comme très souvent, c’est aussi une formidable leçon pour des managers à partir du moment où ils sont capables de prendre le recul nécessaire et de bâtir des ponts entre les situations décrites et les situations vécues en entreprise. Les réflexions sur la maîtrise du stress, la formation, l’organisation du groupe primaire le niveau de commandement et de contrôle, la planification sont des logiques de réflexions tout à fait transposables dans le civil que la prévention des “RPS” (risques psycho-sociaux) ne prend malheureusement pas encore en compte.
Sommaire
- Avant-propos
- Partie I : un champ de bataille moderne
- La ville comme champ de bataille
- Redécouverte de la manœuvre classique : Grozny (1995-2000)
- Partie II : attaques en zone urbaine et confinée
- L’attaque en “râteau” : Fallouja (avril et novembre 2004)
- L’attaque en “coup de poignard” : Budapest (1944-1945)
- L’attaque en “ciseaux à œuf” : l’opération Camargue, la “rue sans joie” (Indochine, juillet 1953)
- Un bouclage-ratissage classique : Aix-le-Chapelle (1944), une bataille de référence pour l’US Army
- Le raid en zone urbaine ou confinée : la première bataille moderne en zone urbaine, Madrid (1936)
- Partie III : défendre en zone urbaine
- Défense de l’avant, le mythe de Stalingrad “mère de toutes les batailles” en zone urbaine
- Défense dans la profondeur : les Ardennes (1940), Afghanistan (1979 et 2011)
- Défense des points clés : la bataille de Hué (janvier-mars 1968)
- Partie IV : former les combattants
- L’homme, acteur décisif en zone urbaine et confinée
- Combattre dans le chaos
- L’homme combattant en ville : la résilience psychologique, un atout décisif pour le combat
- Partie V : la guerre des civils
- Affrontements intercommunautaires et interventions étrangères : Beyrouth (1975-1990)
- Poliorcétique moderne en Europe à la fin du XXème siècle : Sarajevo (1992-1995)
- Un modèle d’adaptation globale face à un conflit en zone urbaine au milieu de civils : l’armée britannique en Irlande du Nord (1969-2006)
- Un cas particulier d’émeutes urbaines maintenues à un faible niveau de violence sur la durée : Mitrovica (1999-2009)
- Partie VI : Technologies et perspectives, avenir de la guerre en zone urbaine
- La technologie, une alliée fragile dans le combat urbain
- Risques et perspectives du combat en zone urbaine et confinée
- Partie VII : De nouvelles batailles toujours plus complexes
- Un château fort en Syrie : Alep (2012-2016)
- Un terrible défi pour une armée non entraînée et non préparée au combat urbain : Marawi (mai à octobre 2017)
- Entre classique démesure et inquiétante modernité : Mossoul (octobre 2016 à juillet 2017)
- Conclusion
- Remerciements
- Bibliographie