A plusieurs titres, les mémoires d’Otto CARIUS, célèbre as des Panzer de la Seconde Guerre mondiale, sont incontournables. Pour l’histoire militaire bien sûr. Pour la compréhension de cette période (durant la guerre et immédiatement après), certainement, surtout à une époque où la manie oblige à revisiter l’Histoire et à juger ses acteurs selon les prismes contemporains. Enfin, pour la formidable leçon humaine et de management qui s’applique tour aussi bien aux militaires qu’aux civils.
La traduction et la publication en français de ce texte rédigé après-guerre est donc une excellente initiative.
Les ayant parcourues il y a maintenant quelques années, mais en anglais, j’étais pourtant assez dubitatif sur le réel intérêt d’un tel projet. Les extraits parus dans Ligne de Front n°81 et Batailles & Blindés n°91 n’avaient pas plus que ça réduit mes craintes. C’est donc avec une certaine retenue que j’ai ouvert les premières pages… pour ne plus les refermer avant la fin. J’avais eu bien tort.
Il a fallu toute la persuasion et la gentillesse de Yannis KADARI qui m’a fait parvenir un exemplaire via Loïc BECKER pour me rendre compte que j’étais alors passé à côté de beaucoup de détails – l’intérêt du texte m’avait en fait totalement échappé.
La traduction est très agréable à lire et le texte s’avale sans difficulté. Très probablement, les heures immergées dans la littérature consacrée à la Seconde Guerre mondiale, les joies et les épreuves de la vie ainsi que l’expérience professionnelle me permettent aujourd’hui d’apprécier, de pleinement savourer, ce texte.
Commençons par l’intérêt militaire. La narration des combats est évidemment instructive. Elle permet de comprendre les règles d’engagement, les contextes et surtout le rôle des uns et des autres. L’importance de la coordination avec les autres armes apparaît de façon évidente et permet de mieux saisir l’importance de l’entraînement. La préparation des opérations est également bien décrite et à différents échelons. L’emploi du Panzer VI Ausf. E Tiger est exposé au grand jour. Sa supériorité aussi. La teneur des combats autour de Leningrad, sur la Narva puis sur la Daugava est remarquablement bien expliquée. Certes, cela n’a pas l’emphase d’un roman tel que Dans les ventres d’acier et sa suite, mais le récit capte facilement le lecteur grâce à ses descriptions et son ton pédagogique. Peu de textes sont aussi illustratifs. Si la vie au front représente la majorité des pages, celle à l’arrière et en permission est tout autant digne d’intérêt.
Ecrit dans les années qui suivent la défaite, le ton et les propos ne sont pas neutres. L’ambiance participe à la construction d’une image, fausse, d’une Wehrmacht propre, de soldats apolitiques combattant uniquement pour leur pays et soucieux de faire leur devoir du mieux possible – les mémoires d’Otto CARIUS y contribuent. Quelques coups de griffes sont adressés aux alliés à propos des prisonniers qu’ils ont livrés aux Soviétiques en toute connaissance de cause du sort qui allait leur être réservé. Pas une once de repentance quelconque. Concernant les Soviétiques, le ton est à la fois empli de condescendance et d’admiration. Les tentatives de justification d’une position désignée “Judennase” (nez de Juif) sont plutôt cocasses. La nomination ne serait pas un propos antisémite, mais “juste” une comparaison “dans des termes que tout le monde peut comprendre”. A l’époque, rares étaient les personnes qui s’offusquaient d’un telle comparaison qui renvoie aux caricatures placardées sur les affiches de propagande. Si ce n’est pas de l’antisémitisme qui conduit obligatoirement à l’Holocauste, cela n’en reste pas moins a minima de “l’antisémitisme de salon” qui imprègne la société allemande (et européenne) à cette époque-là comme l’explique très bien le numéro d’Iron Cross consacré à l’attentat du 20 juillet 1944 et à la personnalité de von STAUFFENBERG. Otto CARIUS aurait pourtant pu éviter de livrer ce détail… pourtant il le fait. Soit par provocation, soit l’incongruité de la désignation après la révélation au grand jour de la Shoah ne l’a pas effleuré. Peut-être aussi par naïveté (il ne semble pas vraiment s’être auto-censuré). Heureusement l’éditeur n’a pas caviardé le texte, au risque de heurter, pour reproduire fidèlement le contexte de l’époque. Dans chapitres abordant les derniers mois de la guerre, nulle trace non plus d’une volonté d’arrêter les frais malgré les doutes sur la victoire qui l’assaillent. Les couards et les traites l’insupportent tout autant que la main-mise nazie sur l’armée. Très significatif aussi du contexte des années 1950/1960 : Otto CARIUS confesse que la perspective d’accomplir des tâches ensemble avec son geôlier américain le ragaillardit en s’imaginant repartir au combat contre les Soviétiques avec l’appui des Etats-Unis…
Enfin, c’est une sorte de comédie humaine qui se déroule au fil des pages. La galerie de portraits de gens célèbres ou non est tout à fait valable de nos jours, à l’armée ou dans la vie civile. Otto CARIUS apparaît ici avec d’évidentes qualités humaines. Sa modestie n’est pas partagée par certains anciens responsables de l’époque (GUDERIAN ou von MANSTEIN par exemple). Attentif aux autres, besogneux, magnanime, même vis-à-vis de ceux dont il a visiblement piètre estime. Dans les qualités mises en valeur, celles qui permettent de comprendre l’utilité de toutes les armes, des services de l’arrière, le respect à la fois de la base et de l’encadrement. Chacun son rôle, chacun son utilité. Des notions qu’il serait bien de marteler, y compris dans les entreprises. Point de succès sans les uns, point de salut sans les autres. Mais pour y arriver, il est nécessaire de se mettre à la porter de l’autre, d’écouter et d’intégrer. L’épisode avec von STRACHWITZ est lumineux. Celui-ci a son caractère, comme beaucoup d’êtres brillants dans leur domaine, il n’est pas facile et a ses manies. Mais un chef, ça se gère – et ce dernier doit avoir l’intelligence de saisir ce que ses subordonnés veulent lui exprimer plus ou moins directement. Egalement, l’exemple de CARPANETO qui reste avec son Panzer bloqué sans tenter quoique ce soit pour débloquer la situation est aussi illustratif des conséquences d’un chef ne sait pas donner d’envie à ses subordonnés ou n’arrive pas à leur faire dépasser leur lassitude.
Au moment de refermer le livre, un question me taraude. Faut-il davantage de commentaires de l’éditeur que les deux pages introductives ? Pour des lecteurs avec assez de recul, de connaissance et d’expérience, probablement pas. Pour les autres, peut-être. Ne serait-ce que pour tirer le maximum de ce qui se rend ce livre si important et incontournable.
Sommaire :
- Note de l’éditeur
- L’appel de la patrie
- Dans les pas de Napoléon
- Les premiers T-34
- De retour chez les camarades
- Une catastrophe
- En Bretagne
- Portrait du Tiger
- Express vers le front de Leningrad
- La défense de Nevel
- Retraite vers la Narva
- Le “vieux Fritz”
- Tenir le front à Narva
- Le calme avant la tempête
- “Ivan” attaque !
- Mutinerie dans le bunker
- Opération “Strachwitz”
- Un enfer nocturne
- Illusion ou vérité ?
- Eloge du Tiger
- Echec et adieu
- Croix de Chevalier à l’hôpital
- Les chasseurs allemands ne se montrent pas !
- “Retour immédiat à votre unité”
- Refus d’obéissance
- La défense de Daugavpils
- L’embuscade
- Un différend fatal
- La mort aux trousses !
- Guérison rapide à l’hôpital
- Visite à Heinrich Himmler
- Trahison à la chaîne
- La catastrophe se précise
- La poche de la Ruhr
- Le chaos empire
- Un bien curieux commandant
- Vers la fin
- Les Païens sont souvent les meilleurs chrétiens
- Postface
- Annexes
Liens externes :
- Site des Editions Overlord Press (pour commander les ouvrages)