A la fois livre sur la chose militaire et sur le management du changement et de l’innovation, ce livre de Michel GOYA rend accessible aux lecteurs francophones des analyses et des réflexions plutôt disponibles en anglais. Dans un écrit agréable à lire, l’auteur revient sur quelques unes des grandes mutations de l’art militaire au cours des XIXème et XXème siècles. Une lecture vivifiante.
Recension
Il couvre une période similaire au livre de Colin S. GRAY (Strategy for a Chaos, Revolutions in Military Affairs and the Evidence of the History) qui, de son côté, rentre davantage dans la théorie de la Révolution dans les Affaires militaires. Il faut dire qu’il est publié en 2002 : un contexte de profonde transformation de l’armée américaine après le traumatisme du 11 septembre 2001, en pleine ébullition technologique et doctrinale poussée notamment par Donald RUMSFELD. C’est l’époque de l’Office of Force Transformation, des guerres tout azimut en Afghanistan et dans le Golfe au nom de la lutte contre le terrorisme.
Il en résulte des victoires rapides, mais l’après-guerre est géré de façon calamiteuse, ruinant ce qui aurait pu être un formidable bond en avant géostratégique, encerclant l’Iran et se rapprochant du rival chinois. Mais la suite est bien loin du réalisme politique en vigueur dans l’Allemagne occupée de 1945 et dans les années qui suivent. Après la grande guerre, place à la petite et à la redécouverte des opérations françaises en Algérie tandis que s’effondre l’impression d’avoir vaincu l’ennemi.
En comparaison, les propos de Michel GOYA possèdent un plus grand recul et bien évidemment un prisme davantage européen. Les lecteurs découvrent des pans de notre Histoire qui ne sont que superficiellement connus. Les raisons de la victoire française de 1918 sont brillamment exposées et éclairent d’un autre jour l’exploit que représente la réussite tricolore au bout de la Première Guerre mondiale. La révolution du Blitzkrieg n’est, elle, pas abordée, ce qui permet de laisser de la place au reste… et tant mieux (de nombreux autres ouvrages le font comme The Dynamics of Military Revolution 1300-2050 paru en 2001 et rédigé par McGregor KNOX et Williamson MURRAY).
Passionnants sont ainsi les chapitres consacrés à la mue de la Royal Navy (quand la force apparente traduit un irrémédiable déclin) et à l’offensive stratégique alliée de bombardement des infrastructures allemandes au cours de la Seconde Guerre mondiale.
La révolution de l’arme atomique est abordée avec un utile rappel des errements doctrinaux du nucléaire tactique qui font froid dans le dos en pensant au développement des vecteurs de moyenne portée et à la miniaturisation des charges. Les conflits asymétriques de l’après-guerre sont également passés en revue : Corée, Algérie et Vietnam. Quel bonheur (intellectuel) de pouvoir plonger dans les méandres de ces guerres que nos yeux contemporains refoulent. Pourtant, ils sont riches d’enseignements car de nombreux facteurs cruciaux d’aujourd’hui sont déjà présents : sophistication des moyens de commandement et de contrôle, centralisation des prises de décision tactiques, influence des médias, opinion publique, morale et moral des hommes au front mais aussi des civils à l’arrière qui financent les conflits mais ne les vivent pas au quotidien. A ceux qui pourraient faire mine de l’ignorer, la guerre est un état quasi permanent. Il n’y a qu’à lire le nombre de morts des armées américaines ou françaises au combat depuis 1945. Effectivement, c’est peu en comparaison des sacrifices consentis de 1914 à 1945. Mais ce sont plusieurs dizaines de milliers de personnes quand même, sans compter les blessés. Encore une fois, comme il serait appréciable de bénéficier d’une offre de livres et de magazines similaire à celle traitant de la Seconde Guerre mondiale…
Comme indiqué en introduction, ce livre est aussi à lire avec un œil civil sur la façon de gérer l’innovation et le changement tant en entreprise que d’un point de vue politique. Les militaires ont généralement pris pour habitude d’entretenir une certaine ébullition intellectuelle et d’appuyer leurs réflexions sur les retours d’expérience. L’Histoire a en effet appris que rester figé conduisait à la défaite. Michel GOYA rappelle aussi que des innovations mal maîtrisées ne signifiaient pas pour autant vaincre. Savoir réagir et changer est une qualité essentielle. Car, même en ayant fait de bons choix, l’adversaire réagit par définition et la perfection n’existe pas. A côté de la pensée militaire, la pensée managériale est finalement assez pauvre et se limite à quelques poncifs qui passent généralement à côté du principal. Les AMDECs produits et process ne sont en aucun cas des RETEX managériaux. L’Histoire militaire s’enseigne dans les écoles. L’Histoire managériale pas ou si peu…
Bref, S’adapter pour vaincre est aussi indispensable dans la bibliothèque d’un acteur ou d’un contemplateur de la chose militaire, que dans le bureau d’un manager qui doit en permanence permettre à ses équipes de réagir et de s’adapter pour réussir, sans les brider mais en ne laissant pas faire n’importe quoi.
Sommaire
- Introduction
- L’armée prussienne face aux révolutions (1789-1871)
- La victoire en changeant. Comment les poilus ont transformé l’armée française (1914-1918)
- Pour le meilleur et l’Empire. La Royal Navy face à son déclin (1880-1945)
- Bomber Offensive. Le Bomber Command et la 8ème Air Force contre le Reich (1939-1945)
- On ne badine pas avec l’atome. Guerre froide et feu nucléaire (1945-1990)
- Le temps des centurions. L’évolution de l’armée française pendant la guerre d’Algérie (1954-1962)
- L’US Army et la guerre moderne. Entre guerres imaginées et guerre menées, l’évolution de l’US Army de 1945 à 2003
- Conclusion. La transformation des éléphants
- Liste des abréviations utilisées
- Notes
- Bibliographie sélective
- Index des noms cités