Grand classique de la littérature traitant de la Seconde Guerre mondiale côté allemand, le recueil des souvenirs de Heinz GUDERIAN est indispensable pour comprendre l’homme, le contexte et l’ambiance de l’époque, de la fin de la Première Guerre mondiale à la chute du III. Reich. Bien entendu, il faut lire les pages en ayant bien conscience de qui les a écrites (l’un des acteurs majeurs de l’armée allemande de l’époque) et quand elles ont été rédigées (après la guerre quand se mêlent côté allemand une volonté de se détacher des crimes nazis tout en cherchant à reconstruire une unité nationale, en tout cas à l’Ouest, et côté Alliés occidentaux, la volonté de tourner la page face à l’URSS et au Pacte de Varsovie quitte à recycler certaines figures du III. Reich).
Sur le fond, il se borne à relater les faits comme il les a vécus en ne s’attachant qu’aux aspects opérationnels et aux relations humaines avec ses collègues. De ce point de vue, les querelles d’ego, les compromis faits avec soi-même pour satisfaire ses ambitions fournissent une clef d’explication pour comprendre comment des femmes et des hommes peuvent être ainsi amenés à commettre des atrocités ou à en être complices.
Les pages comprennent une multitude de détails et d’échanges qui donnent une vision très vivante, voire intimiste, des événements. Il ne cache ainsi pas la déprime qui l’habite après son limogeage devant Moscou.
Les mots employés et les non-dits sont aussi importants les uns que les autres. Il ressort de façon évidente que le général allemand a cautionné nombre d’initiatives nazies et qu’en tout cas, il n’a pas eu de réserve à les mettre en application. Malgré quelques dénégations et quelques titres de chapitres trompeurs, force est de constater que GUDERIAN a cautionné, approuvé et apporté sa contribution à la marche à la guerre ainsi qu’à la revanche de l’Allemagne sur ses anciens vainqueurs de 1918. En 1939, il ne devait certainement pas imaginé que c’était le début de la catastrophe, mais au contraire le début d’une certaine grandeur…
Si les pages consacrées à la création de l’arme blindée et aux deux premières années de la guerre paraissent assez sincères, celles dédiées à la dernière année du conflit sont beaucoup plus ambiguës. GUDERIAN s’attache a présenter sa nomination comme chef d’état-major de l’OKH comme lui ayant été imposé et comme n’étant pas le premier choix initial de HITLER. GUDERIAN se montre également extrêmement critique à l’égard des conjurés du 20 juillet 1944. Ils les accusent d’impréparation et d’avoir sacrifié inutilement la vie de beaucoup de militaires allemands poursuivis eux et leur famille par la vengeance du régime nazi. Une telle charge à l’encontre de la résistance de l’intérieur parait aujourd’hui bien étonnante, même si sur le fond, l’attentat a été mal préparé et ses conséquences peu ou pas anticipées.
GUDERIAN se présente également comme un Allemand de l’Est qui cherche avant-tout à préserver les territoires orientaux du III. Reich dont il est originaire. C’est ainsi qu’il justifie plusieurs de ses décisions et son attitude jusqu’au-boutiste à la fin du conflit. La description des dernières semaines du conflit est assez édifiante. Bien entendu, GUDERIAN se donne le bon rôle face à HITLER, mais le récit des rencontres avec celui-ci donne néanmoins une vision là aussi intimiste du dictateur et de sa cour au crépuscule du pouvoir nazi.
Ce qui frappe également à la lecture des pages est la haine qu’éprouve GUDERIAN à l’égard de Günther von KLUGE qu’il poursuit de sa vindicte alors même que celui-ci a dû mettre fin à ses jours quand il est rappelé à Berlin.
Cette édition est très bien présentée par Benoît LEMAY qui définit au lecteur les limites de l’exercice hagiographique auquel s’est livré le général allemand. Seul regret, le texte lui-même des mémoires n’est pas complété de notes pour apporter des précisions historiques et corriger certains faits. La traduction n’est malheureusement pas très bonne, surtout pour certaines expressions ou certains termes militaires. La réédition des mémoires de GUDERIAN aurait mérité un travail éditorial bien plus approfondi.
Autres recensions :
Georges BERNAGE, Bibliothèque bataille de Normandie, Souvenirs d’un soldat par Heinz Guderian, in Normandie 1944 Magazine n°35 (Heimdal, 2020) : article d’un page sur les mémoires rédigées par Heinz GUDERIAN (Souvenirs d’un soldat) commentant plus particulièrement la controverse sur le positionnement des divisions blindées allemandes entre Leo GEYR von SCHWEPPENBURG et Erwin ROMMEL dans l’attente du Débarquement allié et la volonté de se dernier de conserver à disposition la 2. Panzer-Division puis finalement la 116. Panzer-Division en vue de l’attentat du 20 juillet 1944.
Sommaire :
- Présentation de Benoît LEMAY
- Introduction
- La constitution des unités blindées allemandes
- Hitler au faîte du pouvoir
- Le début de la catastrophe
- La campagne à l’Ouest
- La campagne de Russie
- En disponibilité
- L’évolution de l’arme blindée de janvier 1942 à février 1943
- Inspecteur général des unités blindées
- Le 20 juillet 1944 et ses conséquences
- Chef d’état-major général
- La rupture définitive
- Annexes